Coutumiers de formules alambiquées, ces dirigeants africains ; Blaise Compaoré pense être l’« homme fort » faute d’institutions fortes pour son Burkina Faso. Se permettre ainsi de tourner en dérision Barack Obama à propos de la théorie sur la nécessité pour l’Afrique d’avoir des « institutions fortes » au lieu d’« hommes forts » ne manque pas de toupet. Aucun analyste du paysage politico-institutionnel d’Afrique n’avait osé mettre en doute, jusque là, la pertinence de cette remarque du président des Etats-Unis lors de sa première visite officielle sur le continent, en l’occurrence au Ghana en 2009. Eh bien, le beau « Blaise » l’a fait, de retour du sommet États-Unis Afrique à Washington d’aout 2014 : « pas d’institutions fortes sans hommes forts » rétorque-t-il.
Il aurait pu expliquer au journaliste de Rfi qui l’interrogeait ce qu’il met dans « homme fort ». Éliminons tout de suite la force des bras. Sinon je me serais intéressé au nombre de Burkinabé que lui, Blaise Compaoré, serait capable de terrasser physiquement dans un duel au corps à corps. Sa seule force physique ne lui aurait pas permis de tenir en respect 16 millions de ses compatriotes depuis l’assassinat de Thomas Sankara en 1987. Si par contre, sa prétendue force lui vient de l’armée qui l’a aidé à accéder au pouvoir et à le conserver, je ne vois pas en quoi sa conception contredit celle de Obama puisque l’armée est bel et bien une institution. Lui, Compaoré, en tant qu’individu ne pèserait pas grand-chose sans la puissance de l’armée (institution). Il n’aurait jamais pu asseoir une quelconque légitimé sans les armes qui ont fait tomber Sankara, et qui ont servi ensuite à réprimer toute velléité de contestation jusqu’à l’avènement d’un semblant d’ouverture démocratique.
Peut-être que Blaise très fort, expert continental en dénouement de crise, négociateur en chef de tous les conflits de la sous région, digne successeur de son ami lâchement assassiné, évoque la force de caractère. Mais là encore, un homme ne peut se forger un caractère qu’au contact de son environnement familial, professionnel ou à l’école. Aussi bien la famille, l’éducation que la société constituent des institutions qui ont impacté et façonné l’homme fort de Ouagadougou. Il est le produit d’une ou de plusieurs de ses institutions (famille, école, corporation, religion etc…). À moins qu’il nous dise qu’il est plus « fort » que sa famille, son école, sa religion, son armée, bien que toutes ces institutions existent avant sa naissance et aient toutes contribué à faire de lui ce qu’il croit être à présent. Pas vraiment étonnant que ce mépris pour les institutions vienne d’un francophone d’Afrique. Thabo Mbeki n’aurait jamais dit cela lui qui connait la force de l’Anc qui, en tant que parti politique (institution) l’a démis de ses fonctions de président de la République de l’Afrique du Sud. Tout comme, au Ghana John Jerry Rawlings a été mis en minorité dans le parti qu’il a lui-même créé, le Ndc. Mais chez les francophones, le président est plus fort que tout, c’est l’homme fort, tout simplement.
Les déclarations du Burkinabé illustrent bien le décalage des dirigeants africains (francophones surtout) avec les réalités du monde. Sa référence à l’esclavage, la colonisation ou l’histoire lointaine pour se justifier dénote d’une incurie manifeste de la caste qui gère les affaires du continent. Partout, les nations en progrès essayent de mettre en place des systèmes totalement indépendants de la trajectoire personnelle des individus grâce à l’alternance au pouvoir. Même la Chine taxée de ne pas être une référence démocratique a compris la vertu des institutions fortes à travers un parti unique fort et influent soumis à un renouvellement continue de ses dirigeants. Tous les peuples bougent grâce à la force de leurs institutions tandis l’Afrique des Blaise se complait dans l’immobilisme des hommes forts.
Il ne lui reste qu’à proclamer : le Burkina Faso, c’est moi, l’homme fort !!!
www.24haubenin.bj ; L'information en temps réel
31 octobre 2014 par Judicaël ZOHOUN