(Par Roger Gbégnonvi)

 

​Un scénario invariable quoique jamais prévu. Votre taco toussote, s’essouffle et vous lâche en pleine course. Vous l’abandonnez au bord de la voie et empruntez le premier taxi-moto qui passe. Le conducteur vous a reconnu et y va pour vous d’un discours inclassable.

​Professeur, on ne vous entend plus. C’est dommage. Mais ne vous mêlez pas de cette affaire d’élections. Croyez-moi, c’est pourri. Mortel même. Ils ont tout bouffé dans les marches, les nuits, les soutiens, les mercis, etc., les prêtres et les pasteurs ont pris leur part, et le boss constate qu’il n’y a plus d’argent pour les élections, et moi, je le comprends : il est peinard sans les élections. Il boit du petit lait. Et pourquoi pas ? On n’a jamais financé les élections avec la crotte des chiens. Et puisque vous avez tout siphonné pour me remercier avec, maintenant je vous emmerde ! Pas d’argent, pas d’élections. Allez-vous faire enc... !

​Ah Dieu ! Pourtant ça n’arrête pas en cris et mercis. C’est moi qui vous le dis. On racle les fonds de caisse pour secourir ce qui reste du boss. J’ai vu l’autre jour des femmes pas mal faire ça. J’ai même stoppé ma moto pour bien regarder le spectacle. Directrices désactivées, ministresses désœuvrées, ministresses débarquées, aspirantes ministresses, cheveux-nylon, des espèces pas mal vastes. Ah ça, ma foi, ce ne sont pas du tout des maigrichonnes ! Je ne vous dis pas que ça prouve quelque chose. Mais quand on voit ces graisses faire le pavé, se traîner pour recueillir en douceur le boss en chute libre, et qu’on se dit que voilà nos sous, on a davantage mal à l’errance de nos existences. Vous avez dit ça un soir à la télé et moi, j’ai noté parce que ça fait joli. Mais ça veut dire quoi, au juste, ‘‘l’errance de nos existences’’ ?...

​Et puis, professeur, c’est quoi votre problème ? Il paraît que vous avez fui le chef-lieu de tout notre argent pour aller vous fourrer dans une maison broussarde à même le sol. Ça, permettez que je vous le dise, c’est zéro ! Ouais, quand on a été ministre dans ce bled, le plus bas qu’on puisse se hisser, c’est au troisième étage, avec ventilateurs-Japon au plafond des douches et des WC, climatiseurs-Chrysler au salon et dans les chambres à coucher, combinaisons champagne-whisky à tous les étages. C’est ça, une vie de ministre ancien ministre ! Leur chance, c’est que moi je ne suis pas ministre. Sinon, je vais bouffer, mais quelque chose de pas possible ! Après mon passage, vous saurez qu’y en a marre de toutes les élections. Le boss, il est peinard sans les élections, et il a raison. Rien à foutre ! On bouffe.

​Vous, professeur, ce n’est pas sérieux ! Il vous a mis à table, et vous n’avez pas bouffé. Eh bien, c’est zéro ! Ça ne se fait pas. On vous invite à bouffer, vous y allez, vous mettez les mains et les pieds à la pâte pour honorer l’invitation et honorer le grand homme qui vous a invité. C’est ça la politesse ! Et vous revenez avec des réserves pour la vie et pour l’après-vie. Vous n’avez pas été poli, et le résultat, c’est ça : vous êtes collé à mon dos, paquet à trimballer comme n’importe quoi, alors que vous auriez dû amasser voitures BMW, Honda Pilot, Jaguar, etc., avec chauffeurs gantés, et vous feriez la fierté de vos parents et de vos amis, et vous seriez la proie prisée des nanas nylon et vastes. Ouais ! N’est-ce pas beau, ça ? Sachez-le en tout cas : si je parviens par hasard là-haut, je ne vous laisserai même pas les miettes, je les enverrai au village. Mes parents meurent là-bas de tous les manques, en vrac. Les arrêtes de la ville seront pour eux du bon poisson, et ils en vivront un peu…

​Le garagiste. La fin de la course. Un ouf intérieur de soulagement. Et peut-être parce que vous payez un peu généreusement, vous avez encore droit, dans le halo d’un sourire d’ange, à son credo de circonstance, qu’il vous a servi comme cadeau de choix tout au long du trajet : hein, professeur, à cause du risque de dangnivoïsation, ne vous mêlez pas de cette affaire d’élections. On tient à vous. N’énervez pas le boss, il est peinard sans les élections.