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Quand la Cie Sèmako Parodie le Drame National




La acteurs et auteurs de la compagnie Sèmako, ont, dans une de leurs productions récentes (2011), montré toute la force de leur talent, ainsi que le pouvoir subversif de l’art dans une société. La pièce comique filmée peut se lire ou s’entendre comme un théâtre dans le théâtre politique national, un drame dans le drame politique du Bénin. « Pépé J-P — tel est son titre — met en scène les acteurs fétiches de la Compagnie Sèmako que sont Pierre Zinko alias éléphant mouillé et son complice Simplice Béhanzin, à la scène comme à la ville. 
À l’échelle des troupes qui pratiquent le même genre comique ou satirique en Afrique, la production du Bénin peut prêter à sourire par son indigence. Indigence matérielle, indigence technique et formelle. Et les acteurs eux-mêmes, malgré leur fougue et peut-être même à cause d’elle, malgré leur génie pour certains, trahissent un certain déficit de professionnalisme ou de formation spécifique. Mais leur talent et leur fougue plaident pour eux, et on est surpris de voir ce qu’ils arrivent à faire dans la spontanéité de leur créativité. 
La pièce comique « Pépé J-P » est sans nul doute, dans sa forme, son discours, et ces plans l’une des mieux abouties de cette troupe de saltimbanques généreux. L’oeuvre est d’une portée sociopolitique indéniable sous les dehors du comique. Car, quand on y réfléchit, y affleure sous forme allégorique, le drame politique ambiant du Bénin. 
Mais avant de développer cette lecture métaphorique de la pièce Pépé J-P de la troupe Sèmako, il sied d’abord de relever quelques aspects de la forme des productions de la troupe Sèmako. 
Dans leurs pièces, les acteurs usent d’un mélange assez hétéroclite de parlers : le fon, un pidgin ou un gros petit nègre grammaticalement contrarié, le gun, et surtout le yoruba parfois mais tout cela lié, coupé et entrelacé avec le français dominant. Et ce français peut être aussi bien le français du commun, celui dont le locuteur a un niveau d’études allant du certificat d’études primaires jusqu’au bac. Et ce français prend parfois la tournure ampoulée, sévèrement grammaticale de la bonne volonté intellectuelle qui, en matière de langue, chez les ex-colonisés que nous sommes et les néo-colonisés que nous demeurons, continue toujours de poser problème quant à la conscience claire de notre identité. 
Dans les pays francophones, cette problématique est encore plus grave que dans les pays anglophones parce que nous sommes activement découragés dans l’usage de nos langues là où et quand il le faut. Et pourtant, tout le monde sait que le egungun ne parle que le yoruba et qu’un egungun qui se pique de parler autre langue que le yoruba flirte avec l’hérésie. Nous autres francophones, nous sommes comme desegungun qui parleraient le aja ou le mina. Comparé à ce qui se passe chez les anglophones, la situation est lamentable, d’autant plus lamentable que nous n’en sommes pas conscients et semblons nous y complaire. Au Nigéria d’à côté par exemple,— pays d’ailleurs dont on voit que les productions Sèmako utilisent certaines des recettes techniques—, le statut des langues autochtones est très respecté. Leur usage est actif. Par exemple dans les films yoruba, on parle à 90 % le yoruba et intervient 10 % d’anglais, histoire de restituer la réalité de l’interférence de la langue du colonisateur dans le parler quotidien. 
Il est vrai que ces gens ont depuis des décennies pris leur langue au sérieux ; il est vrai qu’ils n’ont pas jeté leur langue au chat. Existent des dizaines de journaux en langue yoruba ; des oeuvres littéraires—romans, pièces de théâtre, essais—en yoruba par milliers. Les tribunaux des états yoruba, les administrations, la police etc. utilisent directement le yoruba comme langue vivante. Ici au Bénin cela nous en boucherait un coin ! Les Nigerians sont à des année-lumière de la situation visqueuse qui prévaut chez nous, où le concours à qui sait mieux parler le faux français va de pair avec le vide institutionnel savamment entretenu autour du non-usage de nos langues. Lorsque Roger Gbègnonvi, éphémère Ministre de l’alphabétisation, disait que c’est dans son plumage que l’oiseau doit grandir, il énonçait un impératif catégorique en deçà duquel notre histoire de pays francophone mentalement dominé ajouté à notre imbécillité collective nous a arrimés. 
Si bien que dans les oeuvres de la troupe Sèmako, d’un point de vue langagier, on ne sait pas à quel Saint se vouer ; on ne sait pas sur quel pied danser, même s’il est sous-entendu que cela traduit une certaine réalité langagière du Bénin. Mais en dépit de cette réalité qui est sujette à caution, qu’est-ce qui nous empêche de faire de nos œuvres un moment d’affirmation de notre identité non pas telle qu’elle est brouillée depuis plusieurs décennies, mais telle qu’elle doit être ? 
En clair, avec ces acteurs fon, qui s’adressent au plus grand groupe de locuteurs national que sont ceux qui parlent le fon, pourquoi ne pas user du fon clairement et sous-titrer tout aussi clairement en français ? Ainsi, la hiérarchie langagière et linguistique serait clairement posée et assumée. Bien sûr, nos producteurs ne sont pas fous. Ils ne sont pas des romantiques ni des rêveurs. Ce sont des commerçants ; des gens qui veulent s’adresser au plus grand nombre pour rentabiliser leur production. Ils veulent déjà qu’au Bénin, les Yoruba qui ont un certain pouvoir d’achat puissent acheter leur production ; ils veulent se faire comprendre par le plus grand nombre et vendre leurs produits aux quatre coins du pays ; et ils pensent qu’en restant dans la tonalité principale d’un français véhiculaire plus ou moins bâtard, ils se feront comprendre du plus grand nombre, non seulement à l’échelle nationale mais dans la sous région—la Côte d’Ivoire, le Togo, etc. 
Ce réalisme de la réception explique sans doute pourquoi l’affirmation d’une identité langagière malgré toutes les ressources dont elle recèle est sacrifiée sur l’autel du tout venant sous les dehors d’un autre réalisme, celui de la réalité ébréchée, émaillée et aliénée qui nous cloue sur place mentalement depuis des décennies. 
Et pourtant, malgré cet impédimenta, la troupe Sèmako parvient à sortir de belles choses de ce bric-à-brac langagier. Preuve que les talents de ses acteurs et leur bonne volonté fougueuse ont le dernier mot. 
Comme dans Pépé J-P, qui est une oeuvre assez troublante, dans la mesure où ce qu’y décèle l’observateur critique, on a peine à croire que les auteurs et producteurs de ce texte satirique l’y ont délibérément mis. En fait, à y regarder de près, et à un degré à peine second, l’histoire apparaît comme une allégorie satirique du drame politique que connaît le Bénin depuis 2006. La pièce est sortie en 2011, un peu après les élections qui ont, au mépris du peuple, dans un coup d’état électoral sinistre, imposé la continuité d’un régime au bilan désastreux. Comment un régime au bilan calamiteux peut être réélu, si on avait respecté à la fois la lettre et l’esprit de la constitution, et qu’on avait agi en toute justice envers le peuple et en tout respect envers la partie adverse ? 
La pièce Pépé J-P semble aborder la question. Le personnage de Pépé J-P joué par éléphant mouillé s’incruste dans la famille de son ami décédé ; il abandonne ses propres femme et enfants, et s’installe avec la veuve de son ami. La famille hôte est divisée sur cette intrusion. Les deux filles sont plutôt du côté de leur mère et les deux garçons dont le plus jeune prennent le parti de la résistance, et de la défense de ce qu’ils considèrent comme la dignité de leur père. La mère est quant à elle, sous le charme, amoureuse, elle dorlote son séducteur d’amant. Celui-ci se montre autoritaire dans sa nouvelle maison. Il entreprend de chasser des locataires dans les propriétés de son ami défunt, pour les remplacer par ses propres enfants (népotisme/régionalisme). Pépé J-P inonde de cadeau la fille cadette de sa maîtresse, et celle-ci semble avoir oublié jusqu’au nom de son propre père pour ne jurer que par celui de son nouveau père adoptif. La famille se déchire. Les garçons montent au créneau et contestent l’usurpation de leurs biens et l’occupation de leur espace par un intrus qui, bien que ne connaissant pas la maison, n’hésite pas à s’imposer ; jusqu’à substituer la plaque d’identification de la maison par une plaque qui porte son nom. L’oncle falot intervient ; lui qui aurait voulu que les prérogatives de repreneur matrimonial que lui conférait la tradition eussent la cote auprès de sa belle-sœur. Mais il échoue face à la détermination de cette dernière. Pépé J-P ne s’arrête pas en si bon chemin. L’escroquerie fait suite à l’usurpation (corruption). pour le mariage de la fille aînée de sa maîtresse, il impose une liste de dot surréaliste dont l’ordonnance si elle se matérialisait remplirait une boutique tout entière. Cette tentative d’escroquerie dénoncée par la future mariée reçoit de la part de Pépé J-P une fin de non recevoir délirante au terme de laquelle, il aggrave les demandes de la liste et menace d’interdire le mariage si celle-ci aussi rocambolesque soit-elle n’était pas honorée (tyrannie). 
C’est alors que la fille aînée qui avait jusque-là une position bienveillante vis-à-vis de l’intrus, bascula dans le camp des insurgés. Dans une réunion à trois, les deux garçons et leur sœur aînée prennent la décision de faire ce qui s’apparente à un putsch, si l’usurpateur ne quittait pas la maison. Ils allèrent donc voir leur oncle falot sous la direction duquel, nuitamment ils résolurent d’en découdre avec l’intrus qui empoisonnait leur vie. 
Et c’est à ce moment-là que la force allégorique de l’œuvre s’exprime dans toute sa splendeur car cette dernière partie du récit se déroule dans la trouble obscurité de la nuit. La nuit de l’inconscience, la nuit de l’injustice et des brimades, la nuit de la déraison. La nuit qui est le moment propice où les incubes entrent en action pour briser le rêve et la naïveté des innocents. Car le démon de minuit de Pépé J-P jette le masque dans cette nuit finale qui est aussi l’aube de la conscience ou de la prise de conscience des femmes trompées ou abusées (La Société Civile et les partis politiques) ; l’aube du triomphe des enfants révoltés (le peuple). Dans la clarté miraculeuse de cette nuit, Pépé J-P a été surpris en train de vouloir violer la cadette, celle qui n’avait d’yeux que pour lui et lui donnait du Pépé comme on donne aux saints le bon Dieu sans confession. 
Au total, comment ne pas voir dans cette pièce comique filmée une œuvre conjoncturelle, en prise directe sur la situation du Bénin ? Tous les ingrédients sont là, tous les aspects allégoriques dans leurs détails forment une maille sémiologique en interaction directe avec notre drame national d’une ex-démocratie exemplaire qui a viré sa cuti pour basculer dans une autocratie exemplaire. 
Cela étant dit, le propos n’est pas d’attribuer à l’intention consciente des auteurs et acteurs de cette production une volonté de peindre l’allégorie de notre situation politique. Mais si l’inconscient à lui seul s’était imposé dans cette précision métaphorique éblouissante, n’est-ce pas la preuve éclatante du talent des acteurs et des auteurs de la Compagnie Sèmako ?

Atinpahun Basile

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27 juin 2013 par Nouvel auteur




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