(Par Roger Gbégnonvi)

​Au sud du Sahara, l’on croit que le nom constitue le condensé d’une mission à remplir, si celui qui le porte vit longtemps. Aussi le choisit-on avec grand soin, après avoir, ici et là, consulté l’Oracle. Cette croyance ne doit pas relever que de la superstition, puisque le chef suprême du culte Vaudou à Ouidah, Daagbó-Xùnòn, renonce à son nom connu pour un nouveau nom dès que le Maître de Cérémonies lui a fait chausser les sandales de sa nouvelle mission, puisque le chef suprême du culte catholique à Rome, le Pape, renonce à Jorge Mario Bergoglio pour François (d’Assise), indiquant ainsi le sens donné à sa nouvelle mission, puisque depuis 1945, les allemands ne nomment plus personne Adolf, parce qu’un des leurs porta ce nom avec tant de rage et de fureur que nul n’a plus envie de s’identifier à ce nom devenu maudit. Le nom porté ne porte donc pas une identité gravée dans le marbre de l’ADN humain, son sens final dépend, pour l’essentiel, du vécu de celui qui le porte. Mais encore faut-il que, dès le départ, il désigne des perspectives positives, voire heureuses.
​Or les noms donnés aux Africains depuis les années 1960 vagissent dans un clair-obscur où l’obscur le dispute au clair. Le mieux disant est « Pays émergents ». Comprendre qu’ils sortent péniblement la tête de l’eau, sans l’assurance que tout le corps suive puisqu’il suffirait de la bourrasque d’une pandémie pour qu’ils replongent. Il y a fort à parier que les émergents ont d’abord été « Pays en développement » (PED) ou « Pays moins avancés » (PMA), qui disent un très mince espoir. Car voici le trou noir des « Pays pauvres très endettés » (PPTE). C’est si violent que, par charité chrétienne, on se contente du sigle pour atténuer le choc, ce qui n’empêche pas qu’ils soient pauvres à une si haute intensité que la vérité des experts les nommerait plutôt « Pays misérables » (PM) ou « Pays pitoyables » (PP). De toute façon, c’est de pitié qu’on les accable à travers la répétitive « Remise de dette », qui se veut le pendant normal de l’abîme où l’on renforce leur dite pauvreté. Leur incapacité à rembourser le moindre kopeck crève les yeux. Et l’on s’étonnera toujours que les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique », à la richesse marquée du sceau de l’éternité, prêtent aux PPTE et foulent aux pieds la forte sagesse du « On ne prête qu’aux riches ». L’OCDE ne devrait prêter qu’aux cinq BRICS (Brésil, Russie, Chine, Afrique du Sud, Inde), dont l’enrichissement vogue vers les rivages de l’éternité. Les BRICS sont solvables, pas les PPTE, dont les créanciers ont peut-être de l’argent à jeter par la fenêtre. A moins qu’il n’y ait anguille sous roche, au sens où l’argent prêté à tire-larigot aux pays africains insolvables serait récupéré à l’autre bout des égouts puants de nombre de dirigeants africains dont les prêteurs adoubent les manières d’escroc !
​OCDE et BRICS, voilà des noms qui poussent loin et portent haut, au lieu que ceux accolés aux pays africains les poussent « au plus bas de la fosse » et les y maintiennent. Comme s’il avait eu la prescience de tous ses baptêmes d’enfer, Aimé Césaire écrivait en 1970 : « Allons / de noms de gloire je veux couvrir vos noms d’esclaves, / de noms d’orgueil nos noms d’infamie, / de noms de rachat nos noms d’orphelins ! / C’est d’une nouvelle naissance qu’il s’agit ! » Et il avait ajouté : « En sortir, pour les nègres, c’est cela la liberté. Malheur à vous si vous croyez qu’on vous tendra la main ! » Et il est vrai qu’on ne tend la main aux nègres que pour les sommer insidieusement de s’abaisser, de résider en des noms d’infirmité. Grandir et s’élever exigent d’eux qu’ils se mettent en route pour la nécessaire nouvelle naissance. L’évangéliste Jean suggère que tout homme doit naître á nouveau pour entrer dans le royaume de Dieu, c’est-à-dire pour atteindre le plein épanouissement de soi par le haut, par le très haut. « En sortir », dit Aimé Césaire. En sortir par le haut.