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(Par Roger Gbégnonvi)
La rentrée des classes s’est faite sans grève installée ni annoncée. Il est vrai qu’avec les nouvelles dispositions, les grévistes professionnels doivent apprendre à répartir dix jours de grève autorisés sur neuf mois d’année scolaire. Mais cette mesure suffira-t-elle à enrayer la chute sans parachute de l’Ecole au Bénin, à redonner une âme à L’Ecole au Bénin ?
La cause de cette chute est la désaffection des enseignants pour leur métier. Les grèves à l’envi au mépris de l’avenir des apprenants, le chapardage du riz à eux destiné, la violence sur écolières aux charmes innocents, etc., ne sont que l’expression infiniment triste de notre Ecole sans honneur et en perte d’âme. La cause de la désaffection elle-même est la fonctionnarisation outrancière du métier d’enseignant. En 1948, Emmanuel Mounier avait mis le doigt sur la plaie : ‘‘Le Dahomey est le quartier latin de l’Afrique…’’ On convient aujourd’hui qu’il faisait l’éloge de notre aptitude à servir ‘‘la mission civilisatrice’’, à nous en faire, notamment comme enseignants, les bons commis chez nous et en Afrique Occidentale Française. Le fonctionnaire indigène de l’Etat colonial est docile, ne prend pas d’initiative, attend qu’on lui donne les ordres à exécuter, ce qui lui vaut son salaire mensuel avec une régularité de métronome et, de temps en temps, des primes estimables dans une économie où l’inflation est rare et la croissance constante. Il a même expérimenté qu’en feignant et en travaillant le moins possible, son patron blanc ne s’en aperçoit guère et continue de lui payer les mêmes salaires et les mêmes primes. Ô farniente ! Ô douceur d’une paresse bien payée !
L’indépendance en 1960 hérita de ce fonctionnaire-là. Douze ans ne l’ont pas éloigné de sa conception réductrice du travail. En 1972, le Gouvernement Militaire Révolutionnaire le trouva donc égal à lui-même, ou pire. Habitué à l’ordre des casernes et choqué par ‘’le bordel’’ au sein de son administration, le chef du GMR baptisa ‘‘intellectuels tarés’’ tous les grands et petits commis, prompts à hurler révolution juste pour les postes et les avantages. Malgré leurs diplômes acquis parfois dans les universités de France et de Navarre, les dahoméens devenus béninois seront demeurés consommateurs de tout, créateurs de rien, gens abandonnant à tout moment le travail pour revendiquer primes, avancements, et tutti quanti. Habitué à la dynamique des affaires et ayant souffert, comme ‘‘roi du coton’’, de la léthargie de l’administration béninoise, un successeur du ci-devant chef du GMR était à Paris en 2016 pour plaider qu’on l’aide à sauver le Bénin devenu ‘‘un désert de compétences’’. Car il est logique que le fonctionnaire qui fuit le travail et singe le Quartier-Latin se soit détérioré en ‘‘intellectuel taré’’ pour générer le ‘‘désert de compétences’’. L’échec éclatant de nos réformes scolaires (sauf Grossetête-Dossou-Yovo) parle de la noirceur de la tare et de l’aridité du désert. Aucune réforme scolaire ne portera les fruits escomptés sans un retournement de mentalité de l’enseignant béninois. Donner la science aux générations montantes du Bénin, voilà son métier qui ne s’apparente à aucun autre puisqu’il est le fondement de tous les autres. L’enseignant est toujours sur la brèche, il est le veilleur infatigable. Comment dois-je conduire mon enseignement pour que mes apprenants le comprennent ? Pourquoi ne l’ont-ils pas compris puisque sont mauvaises les notes du contrôle qui s’en est suivi ? Comment vais-je m’y reprendre pour qu’ils le comprennent ? Etc. La noblesse de cette inquiétude de tous les instants n’est commensurable à aucun Salaire.
Or ‘‘l’ouvrier a droit à son salaire’’. Et l’enseignant béninois a droit au sien. Mais le sien n’est pas destiné à lui permettre d’enrichir la Suisse. Sa fortune, c’est la science qu’il a, qu’il partage, et qui est inépuisable. Sa fortune, c’est le ‘‘supplément d’âme’’ qu’il insuffle à ses apprenants, à l’Ecole au Bénin, pour le progrès de l’homme au Bénin.