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Elles font parties des curiosités des marchés du sud Bénin. Elles, ce sont ces femmes légèrement habillées, les bras chargés de plateau de calebasses. Pour la plupart, mère de jumeaux, elles viennent en ces lieux faire le marché pour leurs nouveau-nés. Une pratique traditionnelle admise dans la partie australe du pays.
Il est 13 heures. Le marché Dantokpa grouille de monde. Des éclats de voix fusent de partout. A côté d’une vendeuse à la sauvette, une vieille dame, pieds nus, poitrine criblée de tâches de chaux, pagne noué autour de la taille, brandit un plateau rempli de calebasses.
Une jeune femme passe et y jette quelques piécettes le regard indifférent.
Dans le Sud Bénin, cette pratique appelée Ka Da Ahi (introduction de la calebasse au marché, ndlr) est souvent demandée par les esprits des jumeaux au cours d’une cérémonie rituelle organisée à leur naissance.
NoukpoHounsou est un chef traditionnelle Goun (ethnie majoritaire de la ville de Porto-Novo). Il a plusieurs fois présidé ces rites.
« Au cours de cette cérémonie appelée Kantountoun (délier les cordes), nous consultons les esprits des jumeaux via l’oracle. L’objectif est de savoir les raisons de leurs venus parmi nous les vivants. Puisqu’ils sont considérés comme des esprits bienveillants.Il peut arriver qu’ils soient venus pour taire une querelle dans la famille ou pour ouvrir les portes du bonheur à une famille qui est en disette. Pour cela, ils réclament que leurs géniteurs aillent leur faire le marché. C’est souvent la mère qui est envoyé », dit-il.
La mère est donc tenue d’aller au marché leur faire des emplettes. A son retour, elle partage avec toute la maisonnée les provisions rapportées dans les calebasses. Les anciens consultent alors les esprits de ces nouveau-nés pour s’assurer que le rituel est accepté. Le cas échéant, la famille connaîtra la paix et le bonheur. Cependant, si le rituel n’a pas été approuvé, la mère est tenue de le faire à nouveau.
Aujourd’hui, la fréquence de ces femmes dans les marchés du sud du pays suscite quelques appréhensions.
Tu gagneras ton pain à la ‘’sueur de la calebasse’’
« Avant, elles n’étaient pas autant nombreuses dans le marché, mais maintenant, pas un jour ne passe sans que tu ne les vois. Est-ce les jumeaux qui leur demandent cela ? D’ailleurs, moi, je ne leur donne plus rien depuis qu’elles se font plus nombreuses, cela ressemble à de l’escroquerie »,lance avec dédain Arcadius, un habitué du marché.
Ces accusations n’ont pas l’air de réjouir Hounsi, une autre femme venue au marché sacrifier à cette tradition.
« On ne force pas la main aux gens. C’est volontaire ! Dire qu’on mendie, c’est de la pure calomnie »,dit-elle effarouchée.
Le chef traditionnel, NoukpoHounsou a un point de vue plus nuancé sur les accusations dont Dame Hounsi se défend. Selon cet ancien, la tradition demande à ce que le père des jumeaux remette de l’argent à leur mère pour qu’elle aille faire le marché. Donc, elle ne s’arrête pas pour réclamer de l’argent. Elle sillonne tous les étalages et achète un peu de tout dans les calebasses. Ensuite, elle rentre à la maison.
Cependant, il peut arriver que les esprits des jumeaux disent qu’ils ne veulent pas de l’argent provenant de leur père. Donc, la mère se rend au marché et est tenue de demander des sous aux passants. Ce cas de figure se présente souvent quand ils sont venus punir leur père ou leur mère pour avoir commis des actes répréhensibles dans la famille. Mais ce sont des cas rares.
Il y a tout un mythe qui entoure les jumeaux dans le sud Bénin.
Quand un jumeau ou une jumelle meurt par exemple, on dit qu’il ou qu’elle est « allé(e) dans les bois ». Il ou elle est représenté(e) par une statuette que son ou sa second(e) porte sur lui. Si les deux décèdent, ils sont matérialisés par deux statuettes que les parents gardent dans leur résidence. De même, quand l’un(e) d’eux disparaît, son ou sa second(e) ne doit pas assister à son inhumation au risque de le suivre dans l’au-delà.
Rufin PATINVOH
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