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Mémoire du chaudron 62




 
En roulant vers la capitale historique ce soir-là, je repensai à toute la batterie d’arguments qu’il m’a fallu pour décider Yayi à s’y rendre en tant que prétendant au fauteuil présidentiel. C’était en 2003. Beaucoup d’eau avait coulé sous le pont.

L’accueil mémorable qu’il reçut aux palais de _"Gbingnido"_ et de _"Djimè"_ le surprit et l’intrigua longtemps. Il s’était formaté un schéma de lecture de la vie politique qui, à mon avis, datait des années 60. Il y voyait l’Abomey du _"hé tchoboé"_ sous le leadership brûlant de Justin Tomètin Ahomadégbé. Il était convaincu que cette ville ne verrait en lui que le _" kaïkaï"_, le _"dendinou ma do tchocoto".

Je savais ses angoisses. Je savais surtout qu’il avait tort de rester si figé dans le temps. Je savais la grande bienveillance des Fons à son endroit. Il était pour eux le nouveau Nicéphore Soglo. Cette évolution psychologique du landerneau politique fon échappait encore à beaucoup d’analystes, et cette méprise fut tout bénefique pour Yayi.

Et pourtant, certaines lignes avaient sensiblement bougé. _"L’affaire Aïkpé’’, qui fut agitée à succès à Abomey pendant la présidentielle de 1991 pour réveiller et entretenir l’instinct grégaire des électeurs contre Kérékou, semblait relever du passé.

D’ailleurs, la promesse faite par le candidat Soglo en 1991 de faire enfin la lumière sur les circonstances de l’assassinat du charismatique capitaine natif de Saclo et de réhabiliter sa mémoire, ne fut jamais tenue.

Était-il si facile de tenir ce type de promesse, surtout que le résultat du coup d’Etat militaire conduit par le capitaine Aïkpé et son frère d’arme Janvier Assigné, fut d’écourter la présidence d’un leader fon, Justin Ahomadégbé en l’occurrence ? L’électeur moyen de 2006 n’en savait d’ailleurs rien.

Et les couches de mystère s’y entasseront chaque jour un peu plus, avec la disparition progressive des différents protagonistes de l’affaire. À moins qu’un jour, un certain Martin Dohou Azonhiho ne se décide à laisser sa part de vérité à la postérité.
 
Il y avait ensuite ce mémorable appel à voter pour Kérékou que lança Adrien Houngbédji, arrivé troisième à l’élection présidentielle de 1996, qui mit un terme à la présidence Soglo. Toute la géopolitique dans le Bénin méridional en sera affectée, et pour longtemps.

Les Fons, qui pleurèrent de rage ce jour-là, saisiront, par la suite, chaque élection pour faire payer à Adrien Houngbédji ce qu’ils considérèrent comme un coup de poignard dans le dos.
 
Une fois remonté au pouvoir en 1996, le général Mathieu Kérékou comprit la nécessité de raviver et d’entretenir une querelle séculaire qui divisait deux des lignées royales de la descendance Glèlè. Il s’agit de cette guéguerre en légitimation de la succession au trône royal qui mit si souvent Abomey sous tension. Pendant que le palais royal de _"Gbingnido"_ marqua une profonde fidélité à Nicéphore Soglo, celui de _"Djimè"_ montrait une plus grande ouverture vers le général Kérékou qui ne demandait pas mieux.

Ce conflit fut d’ailleurs pendant longtemps une ouverture providentielle pour l’animal politique Mathieu Kérékou qui, lors des présidentielles de 2001, réussit des scores plus qu’honorables à _"Djimè"_ et dans les zones de réinstallation identifiées par l’administration coloniale pour disperser et mieux contrôler les descendants de la collectivité royale _"Béhanzin".

Des travaux d’historiens et de sociologues permettront un jour, je l’espère, de donner une piste de lecture scientifique aux options politiques régulièrement faites à "Djimè"_ et qui est souvent le contre-pied de celles généralement faites dans le reste de la ville. Ma réflexion sommaire sur le sujet est que ces options politiques puisent leurs racines dans le fort instinct de survie développé par la lignée royale _"Béhanzin"_ qui fit longtemps face à la compréhensible persécution de l’administrateur colonial à la chute du roi, et à la méfiance d’une grande partie des autres branches de la dynastie _"Houégbadja"_.
 
Mais, dès son entrée à Abomey, Yayi obtenait sur un plateau d’or ce que ni Soglo, ni Kérékou n’avait réussi à obtenir : la bienveillance des deux lignées royales. C’était là un moment clé de sa conquête du pouvoir.
 
Mais, de façon générale, Abomey percevait Yayi comme l’héritier de Soglo et non celui de Kérékou.
 
Après cette entrée mémorable dans la ville en 2003, Yayi n’y retourna pourtant plus avant la campagne électorale, même s’il entretint avec tact et honneur cette perche inespérée de l’amitié qui lui était tendue par la ville.
 
Abomey ! J’en suis originaire, sans y être né. De ma tendre enfance, je ne retiens que quelques rares vacances que j’y passai au milieu de mes cousins, à Dokpa Toïzanli, dans ce quartier excentré de l’arrondissement de Djègbé.

Je me rappelle cet effroi que me donna mon premier contact avec la statue de bronze du roi Béhanzin qui trône à la place Goho. J’avais peut-être 5 ou 6 ans et je mettais les pieds pour la première fois dans cette ville qu’à Parakou, nous appelions _"xué"_ en fongbe, ce qui signifiait _"maison".

Cette assertion me fit plus tard réfléchir pendant ces moments que je consacrais souvent à des réflexions existentielles. Si Abomey est donc mon "xué", devrais-je donc considérer mon Parakou natal comme le "gbé", c’est-à-dire "extérieur "_ ? Quelle serait alors dans ce cas ma vraie identité ? 

Devrais-je me considérer étranger sur la terre de ma naissance et chez moi dans une ville que je ne découvris qu’à 5 ou 6 ans et dont je ne garde de mon premier contact que cette terreur tétanisante que m’inspira la statue à Goho qui, dans mon frêle esprit d’enfant, semblait toucher le ciel ? Je me rappelle avoir tellement tiré sur le pagne de ma mère afin qu’elle me protégeât de cet immense monsieur menaçant.

Vous imaginez sans doute ma franche rigolade au moment où j’écris ces lignes. Car ce souverain devint, au fil de mes lectures, une de mes plus grandes passions. J’ai lu à ce jour la moindre phrase qui fut écrite à son sujet et dont j’ai eu connaissance. Ainsi fonctionne l’esprit.
 
Lorsque je revins à Abomey en 1991, c’était pour poursuivre mon cursus académique. Je garde de mon premier jour au lycée Houffon cette frustration qui m’anima lorsque je passai deux jours entiers devant le bureau du proviseur, à tenter en vain de lui expliquer que, bien que venant d’une classe de Seconde série _"D"_, je me sentais les capacités à poursuivre mes études en Première série _"C".

En fait, j’étais en pleine assurance et me sentais capable de briller dans n’importe quelle série. La plupart de mes amis avec qui je fis la troisième avaient continué en série "C", qui me paraissait plus virile, mais dont les classes n’étaient disponibles qu’au lycée Mathieu Bouké, à plus de 40 minutes de marche de mon quartier Yebouberi.

Je sortais d’une éprouvante maladie et ne pouvais tenir de si tôt cette distance quotidienne. Je remis alors mon défi à plus tard. Je me rattraperai bien à partir de la première, me disais-je.

Mon frère aîné Albert, déjà étudiant en licence de Mathématiques, passa une matinée entière à expliquer au proviseur qu’il pouvait avoir une entière confiance à l’élève qui se trouvait devant lui et dont le bulletin de notes était plus que flatteur. Ce fut peine perdue. Et le pire vint lorsque, m’imposant d’aller rejoindre une des deux classes de la Première "D"_ fonctionnelles cette année-là dans le lycée, il me fit le plus sérieusement du monde cette mise en garde : _"J’ai bien vu tes notes là-bas, mais le niveau est nettement plus élevé ici. De toutes les manières, je te mets à la porte si tu ne tiens pas le rythme".
 
Là, j’étais blessé, vexé. Qu’il me juge incapable à poursuivre en Première "C" me paraissait excusable. Mais, qu’il mette en doute la valeur et les notes brillantes sur mon bulletin me paraissait inconcevable.

Habitué à évoluer dans l’élite de ma promotion, je me retrouvais, par cette remarque, au bas de l’escalier. J’étais frustré, déstabilisé. Je me sentais victime d’un complexe de supériorité intellectuel qui faisait du nord d’où venait mon bulletin, une savane.

Toute ma réputation était à refaire ici. Dans mon _"xué"_ qui, comme la statue du roi à Goho, m’accueillait pour la seconde fois par un choc. 

On verra ce qu’on verra.
 
(✋🏾À demain)
 
*Tibo*

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21 avril 2018 par Judicaël ZOHOUN




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