jeudi, 25 avril 2024 -

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Mémoire du chaudron de 1 à 29




Mémoire de Chaudron 1

L’ambiance d’un certain mardi matin dans le bureau du président Yayi me revient à l’esprit. Je ne sais plus si Didier y était. Mais je me souviens qu’avec Enoc Gouroubera et Edgard Guidibi, nous avions presque réussi, au prix de moult subterfuges, à détourner la violente colère de Yayi contre les parutions du jour et qui justifiait notre présence dans son bureau. Quand les invitations de Yayi étaient pressantes, on le sentait dans la voix de Yasmine, son assistante. Au bout d’un moment, on annonça la présence de Lionel Agbo dans la salle d’attente. S’il est là , c’est que Yayi l’avait fait appeler. Ça faisait en effet un moment qu’il se plaignait de brasser de l’air à la présidence et de n’avoir jamais reçu une mission, ni la moindre parole à porter de la part du président de la république dont il était pourtant sensé être le porte-parole. L’occasion était donc trop bonne. Yayi allait pouvoir enfin lui en confier une. Il fut immédiatement introduit dans le bureau où nous occupions déjà l’essentiel des fauteuils. ( la suite au prochain épisode).

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(2)

Dès que la voix fluette de l’assistante à l’autre bout de l’interphone annonça Lionel Agbo, Yayi activa dans une telle fébrilité la gâchette d’ouverture de la porte d’entrée du bureau, que le crissement sourd du déclic nous fit presque sursauter. Me Agbo apparut, dans une tenue locale blanche, svelt et légèrement courbée vers l’avant, un grand calepin de prise de notes enserré dans l’aisselle. Malgré les petits clins d’œil amicaux que nous échangeâmes discrètement avec lui, je perçu sa surprise de nous retrouver là.
En cette année-là, Yayi occupait encore le bureau présidentielle hérité de son prédécesseur le général Mathieu Kerekou, dans l’ancien bâtiment du Palais. C’était un modeste rectangle de moins cinquante mètres carré au bout d’un long couloir. Alors que tout le monde le pressait d’y changé tout le mobilier utilisé par son prédécesseur, le président Yayi décida de le garder tel. La grande table de travail en bois massif, la petite bibliothèque de rendement, les fauteuils de séjour en cuir autour d’une petite table basse. Cependant il ne pu résister aux différentes exhortations à renouveler la moquette au sol. J’ai toujours eu ma petite explication sur la chose. Le fait de conserver le bureau en l’état, l’avait plutôt aidé à vite rentrer dans la peau de président de la république. C’est un rythe personnel qu’il expérimenta déjà avec une certaine satisfaction, quand douze ans plus tôt, il alla remplacer, à la tête de la Boad, Aboubacar Baba-Moussa, le père de Yasmine Baba-Moussa qui deviendra d’abord sa secrétaire particulière à Lomé, puis assistante à la présidence du Benin.
Yasmine était une petite dame pleine de vie. Pour avoir déjà suivi Yayi pendant tant d’années, elle faisait partie de ceux qui pouvaient se vanter de vraiment le connaître. De son poste d’assistante du président de la république, elle avait un regard gyroscopique sur les grands dossiers du pays. Personne n’était assez insensé pour se la mettre à dos.
Le président invita chaleureusement Lionel Agbo à prendre siège. Tous les fauteuils de séjour étant déjà occupés, l’un d’entre nous céda place et alla tirer péniblement l’un des fauteuils visiteurs en face de la grande table de travail du maitre du pays. L’épaisseur de la moquette rouge-bordeaux ne facilitait pas, en effet, les roulements.
"Maitre, vous avez suivi les petits de Canal 3 ce matin ?" , lança Yayi à brûle-pourpoint. Puis, sans faire attention aux premiers mots de Lionel Agbo, il enchaîna : " je me fais répéter du matin au soir que ma communication ne marche pas. Tous les diplomates ne cessent de me le dire. Wade m’a dit récemment encore que je ne tiendrai pas longtemps si ça devrait continuer comme ça "...

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron (3)

Me Agbo avait visiblement du mal à placer un mot. Yayi qui déroulait avec nervosité son long chapelet de récriminations contre la presse nationale ne lui en laissait pas l’opportunité. Il était alors réduit à ponctuer les déclarations du président de "oui "..." exactement "..." absolument "... Je compris, par expérience, qu’il ne pourrait jamais placer une phrase entière si je ne l’y aidais pas. Alors je raclai légèrement la gorge en donnant l’impression d’avoir eu une illumination soudaine. Le président se tut momentanément. Ça ne ratait que rarement. Ce n’était pas scientifique, mais c’était l’une des nombreuses formules que j’avais fini par développer quand j’étais avec lui et que je tenais à l’interrompre et à placer un mot. Tous ceux qui ont déjà connu ces moments avec Yayi, savaient qu’on pouvait faire une heure avec lui sans jamais réussir à placer une phrase entière.
Je ne lui connaissais pourtant pas ce trait quand mes contacts avec lui devinrent quasiment quotidiennes à partir de la Saint-Sylvestre 2002 qu’il m’invita à passer avec lui à Tchaourou. Je connaissais déjà assez bien cette petite bourgade à une centaine de kilomètres de Parakou, pour y avoir passé certaines vacances scolaires de mon enfance, quand mon père y travaillait comme chauffeur du sous-préfet entre 1979 et 1982. Ce réveillon fut très sobre dans la petite chapelle protestante UEEB de Tchaourou où Yayi prononça un discours à l’endroit de ses "frères en Christ" à qui il déclara devoir son bilan et sa stabilité à la tête de la Boad. " Sachez que je ne vous oublierai jamais ", avait-il conclu dans le vacarme d’applaudissements qui secoua la salle mal éclairée par quelques lampes Néon qui vacillaient au gré des quintes de toux régulières du petit groupe électrogènes qui geignait quelques mètres à l’écart. En vérité, le futur candidat à la présidentielle de 2006, testait ce soir-là, pour la première fois, ce style de discours sur un auditoire. Il ne l’abandonnera plus.
Mais ce Yayi-là était très différent de celui que nous découvrîmes au lendemain du 6 avril 2006. Il exerçait un tel sens de l’écoute, que pendant les longs voyages que j’effectuais à travers le pays chaque week-end, assis à côté de lui, sur la banquette arrière de sa Mercedes à immatriculation diplomatique, j’avais parfois le sentiment de me parler à moi-même. Il ne se fatiguait pas de m’écouter, me relançait sur tel ou tel sujet, se contentait parfois de dodeliner mollement de la tête. A part les grosses pontes de la télévision nationale, il me donna bien l’impression de connaître très bien Pépéripé et Édouard Loko. Sa connaissance des hommes des médias pourrait s’arrêter là si on ajoute l’un des frères Migan qui assurait la couverture médiatique de toutes les activités de la Boad au Bénin.

Lionel Agbo pu ainsi saisir enfin la parole puis, dans un style qu’il voulut chatoyant, mais qui jeta immédiatement le malaise dans la petite assistance, déclara : " monsieur le président de la république, voici plusieurs mois que j’ai élaboré un document complet sur la stratégie de communication. Et je vous assure que si elle était mise en branle, toute la presse allait se discipliner. Mais, monsieur le président, il y a des gens qui n’avaient pas intérêt à ce que le document soit connu de vous".
Voyant l’atmosphère s’alourdir, Yayi entreprit une diversion en se saisissant soudain de la télécommande qui traînait sur la table basse, puis actionna le volume de l’immense écran plasma installé dans une des encornures du bureau et qui , jusque-là fonctionnait en mode "Muet". La télévision nationale diffusait, sans doute pour la énième fois, dans une de ses innombrables éditions siamoises de la matinée, sa descente de la veille sur le quartier Womey. Cette initiative produisit son effet. Me Agbo perdit la parole.
" Maître, embraya ensuite le président quelques secondes plus tard, je lirai bien votre document. Mais je veux aujourd’hui envoyer un message très clair aux journalistes. Je me fais insulter dès le lever du jour et tout le monde me conseille de me taire. Ce n’est plus possible. Ce sera désormais du tac au tac"
Connaissant déjà notre hostilité à une prise de parole officielle pour répondre à des parutions dont l’impact n’était visible nulle part, Yayi parlait désormais en ne regardant que Lionel Agbo. Celui-ci reprit inconsciemment son exercice de... "Oui"..." absolument "..." c’est normal ".
Maitre, conclu enfin le président, il faut que vous passiez à la télévision ce soir. Je sais que vous parlez très bien. Il faut que vous parliez une fois pour de bon à ces journalistes de ma part. S’il veulent la guerre, ce sera la guerre"
Il appuya plusieurs fois sur un petit bouton blanc. La gâchette de la porte de son secrétariat bourdonna ; Yasmine déboula dans le bureau.
" Dites à Julien Akpaki de passer me voir à 17h. Je le reçois avec Maître Agbo".
Nous fûmes tous congédiés sur ce verdict. Dans le couloir étroit qui nous conduisait hors de la zone présidentielle, nous marchâmes, silencieux, à queue-leu-leu. Me Agbo marqua un arrêt devant l’entrebâillement de la porte du bureau de Yasmine qui donnait sur le couloir pour, certainement, prendre des détails sur cette séance de travail à 17h avec le DG-Ortb et le président de la république. Son heure avait enfin sonné. Les journalistes l’entendraient ce soir....

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(4)

Nous marquâmes un arrêt dans la petite salle d’attente pour récupérer nos téléphones portables. Me retrouver enfin dehors, sur l’esplanade en haut des interminables escaliers d’honneur de l’ancien bâtiment du palais, me parut une délivrance. Le courant d’air marin qui me fouetta le visage, me fit le plus grand bien. Je ne réussissais vraiment pas à m’habituer à cette ambiance quotidienne de pression et d’intrigues.
Pression, oui c’est bien le mot ! Avant 2006, j’avais très vite compris que Yayi était un boulimique du travail. Très lève-tôt, il était généralement sur pieds à 5h, quelque soit l’heure à laquelle il se couchait. J’ai pu m’en rendre compte pendant ces nombreux week-end que nous passâmes dans sa résidence privée d’alors à Tchaourou. C’était cet immeuble blanc massif au style colonial, bordé de filaos qu’aucun usager de la voie inter-États ne pouvait louper. Ce bâtiment me paraissait toujours très singulier, vu le très peu de capacité d’hébergement qu’il offrait, malgré sa taille très voyante. On pouvait traverser toutes sa largeur en quelques petits pas.
Yayi, disais-je, était un lève-tôt. Et pendant que je tournais paresseusement dans mon lit, accablé par le long voyage de la veille, sur des pistes rurales généralement en mauvais état, je pouvais l’entendre, depuis sa chambre à coucher, fredonner a voix intelligible des cantiques protestants. La fréquence de sa voix me renseignait qu’il exécutait les cantiques en vaquant à ses occupations. Il les chantait juste, il les chantait de mémoire, il les chantait avec une incroyable précision. En français et en nagot, il les chantait peut-être pendant une demi-heure, puis passait réveiller la maisonnée. Il lui arrivait de passer personnellement toquer sur chaque porte. Se réveiller aussi tôt avait surtout un côté très pratique. Car en ce moment-là, faire un petit déjeuner à Tchaourou était un vrai casse-tête. La petite ville qui n’était couverte par aucun réseau GSM, n’avait pas non plus la moindre boulangerie. Alors le vieux chauffeur Tankpinou devait se rendre jusqu’à... Parakou pour la moindre baguette de pain. Entre-temps, je pouvais apercevoir Yayi, seul, déambulant lentement, en pyjama, dans la vaste cour de la propriété, une petite radio vissée à l’oreille.
Il était très matinale sur les informations. Et cette habitude qu’il conservera après son élection à la présidence de la république, fera le malheur de toutes ses équipes de communication. Je fus d’ailleurs très surpris de remarquer un jour la présence de ce même poste radio que je connaissais très bien, dans son bureau à la Marina. Il suivait lui-même tous les programmes d’information, en commençant par "la grogne matinale" dont il mémorisait pour la journée toutes les interventions. Il se câblait ensuite sur la matinale de Canal 3 . Avec le temps, il connaissait tous les journaux qui passaient sur la revue des titres. Il devrait aussi bien connaître Sulpice Oscar Gbaguidi qui, derrière ses lunettes sombres de Mariam & Amadou, pouvait lui pourrir l’humeur sur plusieurs jours. Le problème, c’est que Yayi nous contraignait à adopter le même rythme que lui. Ce qui avait le don de m’agacer profondément. J’avais beau essayer de lui montrer le danger qu’il courait en allant de lui- même au contact avec les parutions des journaux, il y voyait plutôt un aveu d’incompétence de ma part. Et quand dans son bureau ce matin, je découvris ce qui le tracassait, je ne pu m’empêcher de me dire en moi-même : " pauvre de lui..."
C’est que je savais avant la grande majorité des Béninois, qu’une fois élu, le président Yayi serait un problème pour la presse autant que la presse le serait pour lui. Je l’ai sû un jour de 2004 quand , comme à son habitude, il me téléphona pour échanger un peu sur l’actualité du pays. Mais je sentis très vite que quelque chose n’allait pas. Sa voix était plus rauque que d’habitude. " Tiburce, tu as vu le journal Fraternité ? Qui en est le propriétaire ? " . Surpris, je bredouillai quelques mots puis lui demandai de m’accorder quelques minutes pour y jeter un coup d’œil. Le journal était en effet dans le lot des journaux éparpillés sur la table devant moi. J’étais encore au journal "Le Progrès". Je le pris fébrilement et découvris un petit article en bas de Une, signé Seibou Larry. Ce qui était plutôt rare. Je parcourus rapidement l’article et remarquai le bout de phrase qui , légitimement, provoquait l’indignation de Yayi. Sans raison compréhensible, l’article, dans sa chute, s’en était pris violemment à son physique...! Curieusement je retrouvai le même article à la Une de L’Aurore et signé d’un certain Pierre Kouma. Professionnellement, c’était une grosse faute. Mon confrère et complice dans l’aventure, Serge Loko m’eût été d’une grande utilité en ce moment précis. Il connaissait mieux que moi le microcosme politico-médiatique et avait un niveau d’analyse politique qu’on prenait rarement à défaut. C’était d’ailleurs lui qui fut à l’initiative de l’article publié deux ans plus tôt par le journal " Le Progrès " et qui alluma la fusée médiatique Yayi. J’avais d’ailleurs fait geler sur plusieurs jours la publication dudit article en lui demandant chaque jour de me reprendre sa démonstration. Puis un vendredi, le journal lâcha enfin la bombe. Mais Serge était désormais de moins en moins présent à la rédaction. Il s’investissait dans un autre secteur d’activité. Je devais trouver seul les ressources pour parler à Yayi.
Mon embarras fut donc grand lorsque mon téléphone sonna à nouveau et que je vis le numéro de Yayi réapparaître sur l’écran. Volontairement, je le laissai sonner très longuement, le temps de rassembler mes idées. Quand je finis par décrocher, je compris au bout d’une heure de roulement de mer, que notre presse irait devant une confrontation directe après le départ du Général Mathieu Kerekou.

Tout ce souvenir me revint en flash au moment où avec mes deux autres collègues, nous nous séparions sur l’esplanade avec des mous d’impuissance et que chacun prenait la direction de son bureau.
Ce soir sur le plateau de l’Ortb, la grande solution viendrait enfin peut-être de Lionel Agbo. Je me promis de rester calé devant mon téléviseur....

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron (5)

En remontant ce jour-là les escaliers en colimaçon qui donnaient sur le dernier étage du bâtiment de l’intendance du palais, où se trouvait mon bureau, je ne pus m’empêcher de repenser à la visite marquante que me rendit "Maman Glessougbe" , un jour de janvier 2016 à mon domicile dans l’arrière-banlieue de Akassato.
La soixantaine dépassée, cette brave femme n’en avait pas moins gardé sa vivacité d’esprit et sa combativité. C’était une mobilisatrice de renom dans toute la zone de Vidolé à Abomey. Ce fut donc à bon escient que j’allai faire du prosélytisme chez elle quelques mois plus tôt, lors de l’une de mes descentes à Abomey. Elle marqua beaucoup de réserve, étant déjà sollicitée dans les structures locales de campagne du candidat Adrien Houngbedji. Je dus donc lâcher prise et battre en retraite, en faisant contre mauvaise fortune bon coeur.
Ma surprise fut donc grande lorsque ce jour-là, alors que je récupérais, chez moi, de la grande fatigue de l’organisation de l’investiture du candidat Yayi Boni, au palais des sport de l’anciennement stade de l’amitié et au cours de laquelle se révéla l’artiste GG Lapino, la dame s’annonça à mon portail. Non sans méfiance, je la fit introduire dans mon séjour. A la gravité de son regard et aux petits toussotements qu’elle émit après que je lui eu servi de l’eau, je compris qu’elle avait quelque chose de préoccupant à me dire. N’étant pas de nature à apprécier les suspens, je l’aidai immédiatement à accoucher.
" Mon garçon, enclencha-t-elle, je viens comme ça d’Abomey, juste pour te parler. J’ai déjà parlé avec ton père et ta mère qui m’ont proposé de venir te parler directement. Ils regrettent ne plus pouvoir traiter certains sujets avec toi depuis que tu es devenu sisinnon ( chrétien évangélique). Mais à mon âge, on ne prend pas une grande décision, sans d’abord aller "prendre ça voir". Eh bien je l’ai fait à propos de ton monsieur ( gnan towe). Je suis allée chez un de mes vieux à qui le fâ est encore très soumis. L’oracle n’a pas begayé. C’est du djogbe. Tous les cauris sont ouverts. Ce que tu nous apportes sur la terre des dadas est solide". Elle marqua une courte pause, essaya d’évaluer l’effet que cette déclaration me faisait, puis reprit : " mais c’est la mise en garde qui a accompagné la parole de l’oracle qui me motive à venir te voir. Ton messieur sera élu haut les mains. Mais le fâ prévient que quiconque l’aidera à prendre le pouvoir, en gardera une immense amertume".
Elle se tut à nouveau pour provoquer une réaction de ma part. Mais sans savoir pourquoi, ses révélations ne me firent pas le moindre effet. L’éclatant succès de la cérémonie de déclaration de candidature de la veille me grisait encore. J’étais gonflé à bloc. Plus rien ne pouvait arriver, pensais-je. La pauvre dame, voyant le peu d’intérêt que produisait sur moi sa démarche, conclut la séance de façon presque lapidaire : " dahovi, c’est juste cette mise en garde que je tenais à te porter. Si ça marche pour toi, ça marchera nous aussi". Puis elle ajouta, sur le ton de la plaisanterie : " je vois vraiment que les sisin nous ont arracher nous enfants les plus chers". Je répondis par une autre blague dont je ne me souviens plus, mais qui eut le double avantage de détendre l’ambiance et de fermer le sujet.
Cependant, j’avais beau être sisinnon, cette visite s’installa durablement quelque part , sur le disque dur de mon esprit. Et la première personne sur qui je commençai par constater la douloureuse réalité de cette révélation n’était ni plus ni moins Charles Toko.
Mon contact avec Charles était assez distante et vague jusqu’à ce jour de début 2004, quand je reçus son coup de fil, me demandant si je pouvais passer le voir à son bureau sis à Atinkanmey. Nous avions bien quelque chose de commun et ce n’était pas Yayi Boni. Nous étions tous deux du quartier Yebouberi à Parakou. Moi pour y être né et lui pour en être autochtone. J’avais fait comme lui le CEG1, mais lui devait avoir six où sept années académiques sur moi. C’était donc un grand frère du quartier mais qui était si effacé que quand je découvris sa signature des années plus tard dans une ancienne parution du journal des étudiants "Le Héraut", je ne pouvais plus faire le lien avec sa personne. D’ailleurs ce n’était pas Charles qui marqua les papilles gustatives de tous les enfants du quartier Yebouberi de Parakou. C’était sa mère. Elle avait établi sa solide notoriété de boulangère traditionnelle, avec ses boulettes de pain doré au goût sucré- salé et que nous appelions " pain Baba Moussa". Ses fourneaux en terre cuite dressés au centre de la maison Baba Moussa, en face de la mosquée centrale de la ville, nous maintinrent longtemps captifs. Voilà sommairement ce qui pouvait être nos liens, jusqu’à notre contact de ce soir-là. Arrivé à Atinkanmey, je le trouvai très motivé et surtout entreprenant. J’en fis immédiatement un compte-rendu enthousiaste à Yayi qui , tout en prenant positivement ce ralliement qui lui tombait sur la tête, se montra néanmoins très circonspect. " Maintiens le contact avec lui" , m’avait-il finalement ordonné. Puis l’incroyable énergie de Charles entra dans le jeu et changea profondément la physionomie du dossier Yayi. Au fil de nos contacts devenus quotidiennes, je découvrais un peu plus ce personnage singulier qui ne pliait pas, mais qui cassait très vite. C’était un émotif fragile, mais surtout un travailleur acharné qui croyait autant à la vertus de l’effort rationnel qu’aux solutions irrationnelles venus de quelque lieu ésotérique de Gamia ou de Kouandé. Les deux années que je passai avec lui, à travers des réunions politiques secrètes, des comités de réaction, des petits cercles de barbouzes, me montrèrent son niveau d’engagement au yayisme naissant. C’était lui qui me présenta pour la première fois Edgard Guidibi et Didier Aplogan.

Mon premier contact physique avec Edgard Guidibi eut lieu dans le bureau de Charles à Atinkanmey, un soir de 2005. Edgard y était déjà quand j’arrivai. Je le trouvai à son aise cet étroit bureau encombré où nous passâmes une demi-heure. Je l’avais déjà suivi quelques fois avec beaucoup d’incrédulité, quand il développait ses théories de Dale Carnegie sur la télévision nationale. Mais c’est ce que Charles m’en a dit ce soir-là qui suscita mon intérêt pour lui. " Tiburce, m’avait-il dit, il est brillant et peut nous aider". Guidibi prit alors la parole sans complexe et nous fit un cours magistral de développement personnel qui eut le don de m’agacer furieusement. Pendant son développement, Charles saisit une feuille de papier qu’il se mit en défi de plier et de rendre le plus petit possible avant de l’envoyer dans la bouche pour d’intenses moments de machouillage. C’était bien la preuve que Guidibi l’ennuyait déjà aussi. Puis le jeune orateur finit par la question que nous redoutions le plus : "votre gars a-t-il les moyens de ses ambitions ?". Je laissai lâchement Charles s’occuper de la patate chaude. Je n’ai pas grande mémoire de ce qu’il répondit. Je me souviens par contre comme si c’était hier , du verdict de Guidibi : " votre gars a peut-être toutes ses chances. Mais si dans trois mois il ne parvient pas à mobiliser les moyens de ses ambitions, il sera trop tard".
Je repartis de Atinkanmey, un peu assommé. Je ne revis plus Guidibi qu’après le 06 Avril 2006, quand Yayi m’envoya lui remettre mon Curriculum Vitæ....

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron ( 6)

Il devrait sonner 22h lorsque je pris congé du nouveau président de la république élu, Yayi Boni à Cadjehoun. C’était la seconde fois que j’obtenais un face à face avec lui depuis son élection. La première fois , c’était le soir de la proclamation des résultats du second tour. Le domicile était plongé dans un calme si inhabituel que je crus un moment que le maître des lieux était absent. Mais il était bien là, aussi seul dans son séjour. Un léger dispositif sécuritaire se mettait déjà en place, mais le soldat en faction au portail manquait encore d’assurance et n’avait pas encore la main assez autoritaire pour me bloquer le passage. Quand j’entrai dans le salon, je vis Yayi assis, tout frais, habillé d’une simple chemise et lisant une autobiographie de Abdoulaye Wade. Je me dirigeai vers lui en murmurant un timide "félicitation monsieur le président", comme si j’attendais encore une autre preuve de son élection. " Tiburce ", répondit-il en me tendant mollement sa main que je remuai énergétiquement. J’eus immédiatement un flash après ce geste. Je crois que je venais de faire une bêtise. C’était à lui de remuer ma main. Ce genre d’erreur coûtera la disgrâce à tant de personnes pendant les dix années suivantes.
Ce soir, je comprenais mal ce qui arrivait. Yayi et moi avions passé près de deux heures à jouer au chat et à la souris. Il changeait prestement de sujet chaque fois que j’abordais les perspectives d’après victoire. Son premier gouvernement était déjà connu. Quant à son cabinet civile, les choses semblaient piétiner. Après la nomination de Ahmed Akobi à la direction du cabinet civile, Nicaise Fagnon et Jonas Gbian avaient pris bureau à la présidence sur ses instructions, mais aucune nomination officielle n’était encore intervenue pour officialiser le statut de ces deux derniers.
Les premiers jours d’après victoire sont souvent très malaisés pour ceux qui ont joué un rôle ostentatoire dans la victoire d’un président de la république. Il leur faut pouvoir expliquer, au quotidien, à tous ceux qui les ont vu évoluer durant la rude bataille électorale, les raisons de leur absence dans les premières nominations. Exercice hautement agaçant, surtout qu’après la victoire, ils ne tiennent plus solidement aucune corde.
Sur la petite véranda donnant accès au séjour, je vis le garde du corps principal, un peu perdu dans ses méditations. C’est bien lui qui m’avait facilité le rendez-vous et qui m’avait introduit. C’est avec lui que, depuis plus de trois ans, nous avions parcouru le pays dans tous les sens en compagnie du prétendant au fauteuil présidentiel. Aujourd’hui le fruit est mûr, mais un orage d’un genre inconnu couvait à l’horizon.

Je l’entraînai par la main jusqu’au portail pour lui faire le point des deux heures stériles que je venais de passer avec le président. " Il me demande d’aller voir Guidibi " lui dis-je, excédé. Il lâcha un bref soupir d’impuissance, puis au bout d’un moment de silence, me demanda ce que je comptais faire. " Je rentre directement chez moi", lui répondis-je. " Tu ne perds rien à faire comme il te l’a dit", temporisa-t-il, avant de me confier sur le ton de la confidence : " Ça tombe d’ailleurs bien. Guidibi doit être actuellement dans la maison en face. C’est chez sa belle-mère. La voiture allemande stationnée devant le portail est la sienne. Je te conseille de faire profil bas et d’aller l’écouter. Tu pourras ensuite apprécier". Il profita pour me confia une ou deux "top infos" qui me montrèrent que les carottes étaient totalement cuites. C’est que le père Guidibi, sollicité par le nouvel élu pour gérer la chasse aux bonnes têtes, n’alla pas loin chercher son premier trophée : son propre fils...! Il lui arrangea rapidement une série de rencontres avec Yayi à l’issue desquelle ce dernier sortait totalement bluffé. Il fallait dorénavant faire avec.
Franchir cette ruelle cabossée qui me séparait de cette maison où se trouvait Edgard, fut pour moi l’une des plus terribles épreuves de brisement dont j’ai souvenance. Je poussai le petit portillon vert puis pénétrai dans la petite cour encore animée à cette heure. J’aperçus Edgard Guidibi dont les rondeurs étaient reconnaissables entre mille. Il faisait des petits va- et-viens dans la demi-obscurité. En m’approchant de plus près, je remarquai des écouteurs dans ses oreilles. Il était au téléphone. Je lui fis un signe un peu confus et il me tendit directement la main tout en continuant sa conversation téléphonique. Il enchaina avec un geste du pouce qui signifiait qu’il me demandait de patienter.
L’attente ne dura pas longtemps. Aussitôt libéré de ses écouteurs, il me retendit plus franchement la main et se présenta : " Edgard Guidibi ", " Tiburce Adagbè", répondis-je. "Le président me demande de te voir", enchaînai-je. " Ok je vois. Vous devez certainement faire partie de mon équipe de communication ", dit-il, avant d’enchaîner innocemment : " Je travaille depuis trois jours sur l’architecture générale de la cellule de communication du président de la république dont j’ai la charge. Je suis encore à l’étape de la définition des profils. Tu fais quoi exactement ? ", " Journaliste " répondis-je sèchement. Puis sans perdre son naturel, il me dit qu’il aurait certainement besoin d’un profil comme le mien et qu’il attendait mon curriculum vitæ pour le lendemain.
En ressortant de la maison, toute la scène de notre première rencontre dans le bureau de Charles à Atinkanmey me revint à l’esprit. Mais encore plus, sa question presque fatale " votre gars a-t-il les moyens de ses ambitions ? ".

Mais je dois à la vérité de reconnaître qu’il avait posé sa question au bon moment. Et il l’avait posée juste. Car en 2005, à un an de la présidentielle, notre machine était grippée, inopérationnelle. Le problème ? Il n’y avait pas d’argent. Yayi avait beau jouer avec le temps en repoussant toujours à plus tard le moment de sortir le nerf de la guerre, je compris très vite qu’il était loin d’avoir les moyens financiers de la bataille qui s’annonçait. Et je pense d’ailleurs que Charles Toko aussi s’en était rapidement aperçu. Mais lui et moi n’en discutions jamais, peut-être par pudeur. Les mécènes qui s’étaient annoncés, se faisaient de plus en plus désirer, surtout avec le regain d’activité des tenants du courant favorable à la révision de la constitution pour le maintien du Général Mathieu Kerekou au pouvoir.
Cette conjoncture profita à un personnage comme Razaki Baba-Tunde Olofindji, plus couramment connu sous le nom de Tunde. Celui-ci prit une importance soudaine par la floraison des titres généralement douteux qu’il faisait placer chaque jour à la Une des journaux " Le Challenge " et " Djakpata". Tunde était en effet un homme irascible, peu enclin à une quelconque ouverture d’esprit. Dès qu’il avait une idée, elle devenait définitive pour autant que les moyens de sa mise en oeuvre devait venir de sa bourse. Alors nous découvrions chaque matin, avec impuissance, des titres bonbon comme "Yayi Boni, l’homme populaire" à la Une des journaux. Un encart sur les cahiers "Le papillon" n’était, bien entendu, jamais loin des articles. Le plus insupportable pour moi, c’est cet appel que je pouvais parfois recevoir vers la mi-journée de la part de Tunde et au bout duquel je devais le féliciter pour la brillance de ses titrailles. C’est dire à quel point la situation, à un moment donné, paraissait désespéré. Et c’était justement en ce moment précis que Edgard nous infligea sa féroce question : " votre gars a-t-il les moyens de ses ambitions ? ".
Puis un soir d’Août 2005, Charles me téléphona, très enthousiaste : " Tiburce, on a gagné. C’est plié. Patrice est rentré dans la danse ". " C’est qui Patrice ?", lui demandai-je. " Tu ne connais pas Patrice Talon ? Viens...viens...viens ! Je suis au bureau "...
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(7)

Impossible de remonter à pas de charge l’étroite cage d’escaliers torsadée qui menait au bureau de Charles Toko, à Atinkanmey. Il fallait s’assurer, avant de poser le pied sur la première marche, que personne , du haut, ne faisait mouvement dans le sens inverse. L’étroitesse de la cage d’escaliers était en effet telle que l’un des deux usagers devait patienter que l’autre sorte du toboggan. Quand donc je surgis à l’accueil, au bout de ce drôle de mouvement de tournoiement sur moi-même comme un tire-bouchon dans un morceau de liège, le sourire rafraîchissant de Monique, la secrétaire, ne fut pas la moindre de mes récompenses. Elle m’autorisa à aller directement sonner sur la porte du bureau de son patron. C’est qu’à force de me voir venir là, elle avait fini par ne plus juger nécessaire la protocolaire annonce de visiteur par interphone. De toutes les façons, Charles avait truffé de caméras de vidéo-surveillance, tout le parcours qui montait jusqu’à lui, de sorte que le visiteur averti, avait conscience d’être aperçu depuis qu’il stationnait sur la petite devanture sablonneuse de l’immeuble, souvent encombrée des motocyclettes des journalistes et autres agents du journal Le Matinal. Je m’engageai donc avec reconnaissance dans le couloir qui menait au bureau du DG. A peine étais-je sur le pieds de la porte que, dans un bourdonnement épais, celle-ci s’ouvrit.
Charles était là, visiblement affairé sur son ordinateur portatif posé sur la table. " Hé Tiburce, on est sauvé...walaï", me lança-t-il avant même que j’eusse pris siège en face de lui. "Parle- moi Charles, il semble que les nouvelles sont bonnes ?" questionnai-je. " Ah oui oui, elles sont même excellentes. Dis-moi, tu ne connais donc vraiment pas Patrice Talon ?", fit il en se détachant dare dare de son ordinateur. " Non Charles. J’ai peut-être déjà entendu parler de ce nom quelques fois. Mais je n’y ai jamais accordé un intérêt. Est-ce lui le propriétaire des camions marqués sur leurs battants arrière des initiaux PT ?" lui demandai-je. Puis sans attendre la réponse, je l’encourageai à lâcher le morceau en me disant ce que ce Patrice venait chercher dans notre affaire et ce que cela changerait concrètement. " Tiburce, me confia-t-il, tu ne connais pas Patrice mais tu vas le connaître bientôt. C’est l’homme le plus riche du Bénin, mais aussi le plus effacé. Il a décidé de soutenir Yayi Boni. Et il ne fait pas les choses à moitié. Il me l’a confirmé cet après-midi. Il veut qu’on aille désormais très vite. Siège de campagne, budget de fonctionnement sur les six prochains mois ". Je demeurai un moment songeur. Qui était donc ce Patrice Talon et quel intérêt aurait-il à dépenser autant pour un candidat de la bouche de qui je n’avais jamais entendu prononcer son nom ? Avait-il pris langue avec Yayi ? Et si oui, pourquoi celui-ci aurait gardé un silence aussi étanche autour de l’arrivée de ce bon samaritain ?

" Charles, Dieu est grand ", finis-je par dire." Nous foncions droit dans le mur. La situation sur le terrain devenait intenable". Mon interlocuteur se leva, s’étira, laissant claquer sèchement ses articulations puis disparut dans la petite salle de toilette dont la porte était juste dans le dos de son fauteuil directeur. Quelques images de call-girls en simple appareil défilaient silencieusement en mode diaporama sur l’écran de son ordinateur placé en biais. Il réapparut quelques instants plus tard dans un vacarme assourdissant de chasse-d’eau tirée. Tiburce, relança-t-il en se rasseyant, je ne vois plus comment on peut perdre avec Talon de notre côté. Maintenant il faut qu’on prenne les choses en mains. Adam Bagoudou et une équipe sont chargés de trouver rapidement un bon locale pour le siège de campagne. Pour la communication, je vais demandé à Didier Aplogan de se joindre à nous. Tu le connais, non ? Je fis non de la tête. Il est bon, me rassura-t-il, il gère la branche locale d’une grande agence de publicité dont les bureaux sont à cadjehoun. C’est vrai qu’il m’a dit récemment que les gens de Houngbédji lui mettaient la pression, mais il viendra avec nous. Si tu as aussi d’autres personnes de confiance, on étoffe l’équipe. Je peux te jurer sur la tombe de ma maman, que s’il me restait un seul ami à Cotonou, ce serait Patrice. Il m’a aidé à un moment crucial de mon parcours, quand tous ceux sur qui je comptais me mettaient sur répondeur. C’était quand je courais pour lancer le journal Le Matinal. Il m’a fait un chèque de 8 millions sans demander aucune garantie. Et quand au bout du processus de création de la société, j’étais allé lui faire signer les documents consacrant son statut d’associé, il avait décliné l’offre. J’en ai été profondément marqué. Et depuis, je garde avec lui une relation fondée sur le respect mutuel. Je ne lui demande plus jamais rien, alors que je sais qu’il aurait réagit positivement si je le faisais"
Avec le temps de fréquentation assidue que j’avais déjà passé avec lui, je savais que Charles aimait les formules faussement définitives, les grandes affirmations émotionnelles qu’il faisait invariablement cautionner par la tête ou le tombeau de sa maman. Néanmoins, cette présentation qu’il me fit de ses relations avec Patrice Talon me marqua spécialement. "Bon Tiburce, reprit-il, vos faux riches là peuvent maintenant aller se cacher". " Charles, répondis- je sur un ton d’humour qui me prenait souvent à l’improviste, n’oublie pas que Tunde lui au moins fait "Papa Mimoune" einh...". Il éclata franchement de rire. J’eus alors une énième occasion de comparer ses traits avec une caricature de lui, signé du célèbre dessinateur de presse Amoussou Évariste Folly et qui était accrochée sur un mur du bureau. En prenant congé de lui, je continuais de me demander cyniquement si c’était une caricature...ou un portrait.
Je venais à peine de passer le carrefour en face de l’église Saint- Michel, la tête un peu dans les nuages, quand mon téléphone sonna. Sachant que j’en aurais pour au moins trois quart d’heures de conversation, je me donnai d’abord le temps de garer convenablement sur le trottoir. Le téléphone sonna longuement puis se tut. C’était Yayi. J’attendis qu’il rappelle. De

toutes les façons, quand c’est lui qui avait besoin de vous, vous n’aviez pas besoin de vous gêner. Et bientôt le téléphone se remit à sonner. Le ton naturel sur lequel il enclencha la conversation me surpris. Patrice Talon avait donné son accord pour lui faire du "tout fourni" et lui ne semblait même pas en être informé ? Quelle affaire !! Je décidai alors, à un moment de la conversation, de prendre le devant et de lui faire le compte rendu de ma rencontre avec Charles. Il m’écouta silencieusement puis, sans faire un quelconque commentaire, changea de sujet. Je sentais pour la première fois qu’une clé de lecture de la situation manquait à mon porte-clés. Je ne tarderai pas à la trouver. C’était une clé massive. Une clé infalsifiable. Une clé sans laquelle personne ne pouvait avoir la bonne lecture des dix années de relations Yayi-Talon...
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(8)

Cela faisait bientôt trois mois que le siège de campagne de Yayi Boni fonctionnait à plein régime. C’était une villa bourgeoise sise à la jointure des quartiers Jéricho et Bar Tito de Cotonou et appartenant aux héritiers Fèliho. D’une bâtisse presque en décrépitude, la maison fut rapidement transformée en une ruche débordante de vie qui s’animait très tôt le matin pour ne se désemplir que tard le soir. Le duplex offrait suffisamment d’appartements au rez-de-chaussée pour abriter une grande salle multi fonctionnelle qui servait de salle d’accueil, des locaux du secrétariat général, un magasin, un ou deux bureaux vagues, puis une salle pour la cellule de communication. A l’étage auquel on accédait par un escalier central, se trouvait, outre deux salles de réunion, un bureau pour l’administrateur général du siège que nous appelions DC, enfin un vaste bureau lumineux aménagé avec grand soin, c’était le bureau du candidat que nous appelions déjà Président.
Avec Charles, j’occupais, en bas, la salle réservée à la cellule de communication et qui deviendra rapidement un passage obligé pour la quasi totalité des promoteurs de journaux à qui nous offrions quotidiennement une agréable raison de passer nous dire le " bonjour ". Ceux parmi eux qui étaient d’un calibre supérieur et qui pouvaient nourrir quelque scrupule à se faire voir là, envoyaient se faire prendre le " bonjour ". Charles m’avait responsabilisé pour ce contact médias et n’y intervenait que très rarement. D’ailleurs, son journal, Le Matinal, n’était jamais pris en compte. Il l’avait voulu ainsi. Cette expression de son engagement me surprenait. Je commençais donc ma journée très tôt au siège, par un survol des livraisons des journaux. Nos " bonjour " assidus pacifiaient l’essentiel des contenus. Mais il n’était pas rare de tomber de temps à autres sur une ronce dissimulée en deuxième ou troisième de Une. Le DP, interpellé, se répendait alors en d’interminables escuses, prétextant toujours une traitrise de la part d’un de ses collaborateurs. Les journaux L’Indépendant et Le Béninois libéré étaient abonnés réguliers dans ce registre. Mais ce n’était pas d’eux que je reçus le coup le plus mémorable de cette période. C’était de Distel Amoussou, alors DP de Panorama, un journal aussi imprévisible dans son rythme de parution que dans son contenu. Puisqu’il nous arrivait de recevoir des coups, nous en donnions aussi régulièrement, et parfois avec une paume plus vigoureuse que celle utilisée pour nous baffer. Et en la matière, Charles devint rapidement une école pour moi.
Ce jour-là, un article paru dans deux ou trois journaux, nous mit particulièrement de mauvaise humeur. Dans ce petit monde de la presse, les informations allaient vite et il n’était généralement pas difficile de connaître le commanditaire ou le marionnettiste caché derrière un pareil acte de guerre. Nous n’eûmes pas un grand mal à porter dare dare nos accusations sur Malik Gomina. Je dois préciser qu’une féroce inimitié dont j’avais du mal à cerner les vraies raisons, l’opposait à Charles. Ce contexte eut rapidement un effet grossissant sur l’article paru dans les journaux et hostile à Yayi, dont Charles tenait responsable Gomina. Oeil pour Oeil, dent pour dent, la réplique devrait être rapide et foudroyante. Un dossier brûlant, concernant Fraternité FM à Parakou, radio dont Malik était le promoteur, nous tomba opportunément dans les mains en début d’après-midi. Charles me chargea de la rédaction du brûlot qui aurait fait immédiatement ajourner le paiement d’une facture d’un montant conséquent à la radio par l’administration. Le plus difficile ne fut pas de rédiger l’article de presse. Encore faudrait-il trouver un journal capable de le publier. Car nous ne sous-estimions pas la densité du réseau d’information que Gomina avait tissé dans la moindre des rédactions. Notre casting retint finalement Distel. C’était le seul capable d’accepter l’offre. Pour avoir passé mes premières années au journal Le Progrès avec lui, je savais de quoi il était capable quand la mise était bonne. Je l’avertis vers 20h que j’avais quelque chose d’intéressant. A sa façon excessive de me remercier, je compris que les temps étaient durs pour lui et qu’il accepterait n’importe quoi. Malgré ses relances persistantes, je laissai passer minuit pour me pointer devant sa rédaction à Zogbo. Il ne me donna pas l’air de s’intéresser au contenue du texte que je lui remis. Son centre d’intérêt était ailleurs. Je lui promis le "bonjour" dès la parution de mon texte, puis pris congé de lui. Il fut le premier à me téléphoner au petit matin. Il voulait me remettre un exemplaire de sa parution pour, bien entendu, être réglé. Il me mit une telle pression qu’à peine rentré dans la ville de Cotonou, je dû le rencontrer sur l’esplanade du stade pour solder mes comptes avec lui. Malgré l’heure matinale, d’épaisses volutes de fumée voilaient de temps en temps son visage. Il me tendit le journal puis je lui serrai d’une certaine façon la main, avant de foncer vers Bar Tito. A mon arrivée, Charles n’y était pas encore. Il avait dû trainer tard dans le bureau avec un de ses marabouts qu’il y faisait nuitamment venir pour des séances de blindage et de conjuration de sort. Les rondelles d’oignon que j’y retrouvais quelques fois les matins, en étaient souvent de tangibles indicateurs.
Je lui téléphonai donc avec satisfaction pour lui faire le point du coup avec Distel. Il m’en félicita puis me demanda de bien lui conserver l’exemplaire.
Mais vers 13h, alors que je déjeunais à quelques encablures du siège de campagne, mon téléphone sonna. Charles, à l’autre bout, me destabilisa en me demandant si j’étais sûr de mon affaire avec Distel. Bien sûr que oui, lui répondis-je. J’ai encore l’exemplaire du journal ici sur moi. Sans plus rien ajouter, il raccrocha. Je compris plus tard que cet exemplaire de Panorama que j’exhibais comme un sabre de samouraï, était le seul en circulation... ! Distel avait revendu toute sa parution à Gomina qui la transforma en fumée et cendre, juste avant de se pointer à ma rencontre avec le seul exemplaire qu’il sauva des flammes pour néanmoins se faire payer à nouveau. Comme un idiot, je m’étais fait avoir...
Ainsi allait la vie à Bar Tito ; trépidante, vertigineuse, avec sur les soufflets du forgeron, un Patrice Talon si lointain, si invisible, mais si proche à la fois. Je remarquais bien de temps

cette Mercedes sombre qui remontait lentement le long garage du bâtiment. Puis ensuite il m’était impossible de reconnaître dans les nombreuses silhouettes qui se mélangeaient dans le bâtiment, la sienne. On m’avait pourtant déja dit une fois, que Patrice Talon, c’était celui que je venais de croiser dans les escaliers et que je prenais pour un responsable d’étudiants. J’avais décidément du mal à l’identifier.
Un jour, on m’annonça une séance de travail à la cellule de communication, à laquelle devrait prendre part Patrice Talon en personne. L’occasion que j’attendais. Sur ce nom, j’allais enfin pouvoir définitivement mettre un visage... et un contenu !
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(9)

Lambert kotty avait son bureau à l’étage, à côté de celui destiné à Yayi. Nous l’appelions DC parce qu’il était sensé jouer le rôle de directeur de cabinet de notre candidat. Mais ce dernier n’ayant mis les pieds à ce siège de campagne qu’à la veille du premier tour du scrutin présidentiel, après plusieurs habiles pressions, kotty n’eu vraiment aucun cabinet à diriger. Mais il ne chômait pas non plus. C’était lui le pivot centrale de la vie administrative et financière du siège de campagne à Bar Tito. Il devait valider le moindre budget avant sa mise à exécution. Et Dieu sait que certains budgets étaient long comme un bras...! Toujours est-il qu’il faisait preuve d’une habileté et d’un tact dans les arbitrages que nous saluions tous. Ni trop souple ni trop rigide, il savait lire dans les colonnes et fermer parfois les yeux là où il le fallait. Comme beaucoup d’autres,Il était venu au yayisme dans le porte-bagages de Patrice Talon. En effet, l’entrée en scène de ce mécène particulier, n’était pas que perceptible sur le plan financier. Plusieurs foyers de résistance à la candidature de Yayi cédèrent par son seul fait. Je savais par exemple que même si quelqu’un comme Adam Bagoudou n’était pas clairement hostile à la candidature de son oncle maternel Yayi Boni, son engagement ne pût être ouvertement exprimé qu’après celui de Patrice Talon dont il était l’employé à la SDI.
La situation, certes, se présentait globalement sous de bonnes auspices pour le président de la république. Mais il s’agissait d’adhésions populaires diffuses, dont la projection dans les urnes n’était pas encore une certitude. Beaucoup de grands électeurs se faisaient encore désirer. Et le septentrion regorgeait encore de beaucoup de pièges. Dans le Borgou, certains leaders bariba prenaient pour un affront, de devoir s’aligner derrière un néophyte nagot, après le long règne de kerekou qui, estimaient-ils ne leur fut pas favorable. Et je crois que si des figures politiques emblématiques du milieu bariba comme Saka Saley et Saca kina Guézéré avaient été vivants jusqu’aux scrutins présidentiels de 2006, l’emprise de Yayi sur le Borgou aurait été plus durement négociée. Saca Georges par exemple ne rentrera jamais dans les rangs. A parakou, le ralliement du vitupérant jeune premier maire de la ville, Rachidi Gbadamassi, se révéla très vite un miroir aux alouettes. Il n’eut pas beaucoup de scrupules à promettre le soutien de la ville à Adrien Houngbedji, après en avoir fait autant successivement à Séverin Adjovi, Yayi Boni puis Bruno Amoussou. Il ne vivra le scrutin présidentiel que depuis les geôles de la prison civile de Natitingou où une affaire scabreuse d’assassinat de magistrat le conduisit. Les visites répétées de Yayi dans la ferme de Ousmane Batoko à l’Est de la ville ne lui rapportèrent, au mieux, que d’habiles et arrides renouvellements de sympathies de la part du vieux révolutionnaire, fraîchement écorché par son cuisant échec à devenir maire de Parakou. Bien-sûr qu’il ne pesait plus grand chose dans le landerneau politique locale, mais c’était une bonne caution dont le président de la Boad voulait tirer le meilleur profit. Surtout que le quartier Bâwèra dont Batoko était originaire, était transformé en citadelle anti-Yayi par le jeune ministre révisionniste de Kerekou, Arouna Aboubacar. Malgré les apparences, la situation était loin d’être rassurante à Tchaourou où se dessinait un bicéphalisme entre Yayi et un autre de ses frères de village, grande figure de Ecobank-Mali, un certain Kassim. Ce dernier, réputé proche de Bio-Tchane et de Patrice Talon, ne manifestait aucune ambition politique précise. Mais son emprise sur une partie de la jeune élite de la localité était très visible. Yayi avait certes marqué la petite bourgade par un projet d’extension du courant électrique jusqu’à Papane, un projet financé par la Boad, il n’était pas encore, pour autant, perçu comme le leader naturel du coin. L’Atacora, dépourvu de leader politique fort en dehors d’un Kerekou finissant, ne présentait pas beaucoup d’équations insolubles. L’Ipd de Théophile Nata, de Moïse Mensah et autres Francis Da Silva était aux avant-gardes du yayisme naissant. Et cela devrait suffire. A kouande, l’activisme de l’ancien Directeur général de la Sonapra, Abdoulaye Toko que Kerekou semblait avoir mis au garage, étouffa rapidement les molles résistances de Amouda Razaki dont l’anti-yayisme ne se démentira jamais. Après la mort de Saka Kina, kandi n’eût plus beaucoup d’éléments de marchandage avec Yayi. Ce ne fut cependant pas le cas de la Donga qui, pour une raison évidente, fit traîner le suspens. Le président de la Boad avait beau y multiplier les assauts par moult inaugurations d’infrastructures communautaires, il apparaissait évident que l’équation Bio-Tchane était la plus grosse épine dans ses pieds. Il en était si conscient, qu’en décidant de tenir sa première rencontre politique secrète à Ouake, au domicile de son ami et urologue personnel Kessile Tchalla à la Toussaint 2003, au lieu de le faire le plus logiquement à Tchaourou, c’était un message subliminale qu’il s’envoyait à lui- même. Ce département tombera le plus tard possible, lorsque la nomination et le départ de Bio-Tchane pour Washington fut acté. L’adhésion rapide de Saka Lafia, avait très vite pacifié les velléités ethnocentriques auxquelles il avait habitué ses électeurs de Pèrèrè lors de ses combats électoraux désespérés contre Kerekou. Mais il devrait désormais pouvoir leur expliquer pourquoi voter pour un candidat qui, quoiqu’on dise, n’était pas bariba. Les maquillages et les subterfuges n’y changeront rien. Yayi était nagot et non bariba. Et c’est exprès que, évitant les susceptibilités des leaders politiques baribas, il se fit discret pendant toute la pré-campagne, dans la zone tchabè où le Cap-Suru portait la bannière et devrait donner le change à des monuments comme Amos Elegbe qui ne voulaient absolument pas entendre le nom Yayi. " C’est un faux nagot", confia-t-il un jour au pasteur Michel Alokpo, parti une énième fois le démarcher. " Nous autres, nous ne connaissons pas de Yayi Boni à Savè. Qu’il reste chez lui là-bas à Tchaourou". Sa sentence était implacable.
La montée dans la barque, du mécène Patrice Talon n’apporta pas que des réponses matérielles aux multiples équations qui se posaient au candidat Yayi. Elle apporta sur une réponse humaine. Les poches de résistance dans les grands bassins cotonniers du septentrion se rendirent progressivement. L’homme d’affaire montrait une tout autre dimension ; effrayante. C’était un homme politique en puissance, capable déjà, en 2006, de compétir honorablement.Yayi le perçu avant tout le monde...

Et c’est avec ce Patrice Talon que nous devrions démarrer, à 16h, une séance de travail à la cellule de communication. Il était d’ailleurs déjà là, dans une chemise claire qui laissait transparaître le tracé d’un débardeur. C’était une chemise comme je pouvais en avoir. Mais la réputation de milliardaire de celui qui la portait, déformait sans doute dans mon esprit, la réelle valeur du textile. Il était assis, dans une posture studieuse. A côté de lui se trouvait madame Claude Olory-Togbe. Didier Aplogan, Charles Toko, Alfred Sama et moi occupions le centre de la salle. Saca Lafia était debout, seul à côté d’un tableau porté par un trépieds et sur lequel plusieurs simulations de logos de campagne de Yayi étaient retenues par des punaises. Il avait un exposé à nous faire. Il était temps de tirer les choses au clair avec Tunde. Nous étions toute ouïe...
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(10)

Le temps était venu de mettre le holà et de discipliner l’énergie débridée de Tunde. Dès qu’il jugeait intéressante une moindre photo de Yayi Boni, ses machines se mettaient aussitôt à tourner pour des dizaines de milliers de calendriers de tous format. Les choses s’empirèrent lorsqu’il fut rejoint par une autre grosse ponte du monde de l’imprimerie au Bénin : Jean Djossou, patron de l’imprimerie "Nouvelles Presses". La rivalité commerciale qui existait antérieurement entre les deux, devint rapidement le moteur d’un activisme débordant de part et d’autre. C’était à qui imprimerait le plus de calendriers estampillés Yayi Boni. Le pays en fut bientôt inondé, à la grande satisfaction du candidat. Le problème, c’est que la gestion de l’image échappait de ce fait à tout le monde. Et à trois mois du scrutin présidentiel, la chose devenait préoccupante. Le plus grave, c’est que Tunde, qui ne connaissait de communicant que l’exubérant Charlemagne Kekou de la télévision nationale, était sur le point de lancer le logo officiel du candidat. Dans sa tête, c’était simple comme bonjour. Cette information, parvenue à nos oreilles, rendit particulièrement furieux Didier Aplogan. Ça ne servait en effet à rien, de se battre autant que nous le faisions pour, in fine, laisser s’échapper la maîtrise de la principale arme de guerre.
De toutes les photos du candidat Yayi qui circulaient, il y en avait une qui revenait le plus et que je découvris pour la première fois, par le plus pur des hasards, dans le cartable de Tunde. C’était au cours d’une des réunions hebdomadaires que nous tenions depuis début 2014, tous les lundis soir, chez Francis Da Silva, à Akpakpa, non loin de l’hôtel Plm Aledjo. Fulbert Gero Amoussouga, les frères Ishola et Yakoubou Bio Sawé, Paulin Dossa, Francis Da Silva, Bovis Macaire, Alfred Sama, Mouftaou Laleye, un grand frère de Tunde (pas le vizir ! ), Tunde lui-même et moi, nous nous retrouvions à partir de 19h tous les lundis, dans cette immense propriété bourgeoise qui témoignait de la gloire passée de son propriétaire. Francis Da Silva était en effet un magna du coton, sur le déclin. Son engagement et sa motivation à soutenir la candidature de Boni Yayi ne souffrait d’aucune distorsion. Membre fondateur et influent financier de l’Ipd, il mettait un point d’honneur à rendre nos rencontres le plus agréable possible. Et même si je trouvais bien souvent les sujets à l’ordre du jour assez plats et fades, je ne pouvais en dire autant de sa cuisine. Un de ces soirs donc, Tunde, au bout d’une longue digression, sortit une maquette de son cartable et le fit circuler autour de la table. " C’est notre logo de campagne " avait-il déclaré avec un petit sourire mesquin. Quand la feuille arriva à mon niveau, je remarquai cette photo représentant Yayi Boni, l’air perdu, songeur, avec un bras de lunette enfoncé dans la commissure des lèvres. Il ne pouvait y avoir pire image lorsqu’on veut rassurer un électeur, pensai-je. Mais je connaissais assez bien Tunde pour savoir qu’il prendrait la moindre critique sur son chef-d’œuvre pour une attaque personnelle et que ce serait parti pour deux semaines d’ambiance glaciale entre lui et moi. Je n’en avais pas besoin. Le temps me formait très rapidement. Je glissai donc lentement le document à mon voisin immédiat autour de la table, non sans avoir jeté un dernier coup d’œil à l’image qui accompagnait celle du candidat : un majestueux cauris. "Ah cette affaire-là revient ?", me demandai-je silencieusement.
J’avais en effet entendu parler du cauris pour la première fois, lorsque Benoît Dègla, alors président de l’un des mouvements politiques de soutien les plus actifs à Yayi Boni, demanda un jour mon avis sur une proposition qu’il entendait soumettre au candidat. Il s’agissait d’un logo de campagne représentant Yayi Boni au milieu d’une carte du Bénin dont les contours étaient entièrement en cauris. Je lui fis part de mon inquiétude de voir le symbole du cauris heurter des sensibilités dans les milieux évangéliques et musulmans, mais l’encourageai néanmoins à l’envoyer à Yayi.
A voir la façon dont toute l’assistance appréciait du bout des lèvres la proposition de Tunde, je compris que personne ne voulait avoir affaire à lui. Il prit donc naturellement tous les hochements de têtes et les plissements de lèvres comme autant de compliments. Et quand le document revint à son point de départ, c’est à dire dans ses mains, il ne pût s’empêcher de nous faire une confidence qui en rajouta à mon irritation : " j’ai beaucoup travaillé sur ça avec le président einh"...La méthode Yayi se dessinait. Faire faire les choses par procuration sans jamais en donné l’air.
De toutes les façons, le petit exposé que venait de faire Saca Lafia ce soir-là au siège de campagne à Bar-Tito, dans le silence studieux de la salle de la cellule de communication, nous montra bien qu’une grande partie du vin était tiré. Cette photo de Yayi que Picasso aurait sans doute titré " L’homme aux lunettes", avait déjà fait le tour du Bénin et était accrochée dans les moindres hameaux du septentrion. La changer à cette étape du parcours nous faisait courir le risque de voir le vote analphabète se déporter sur tout autre candidat qui aurait la vicieuse idée de brandir des lunettes. Il fallait donc faire avec. Didier ne décolérait pas quand vint son tour de prendre la parole. Il parla longuement de charte graphique, de couleur et de mise en scène de l’image. C’était agréable à entendre et en plus ça faisait savant. Charles se rongeait l’ongle de son annulaire gauche. A mon tour je re- exprimai ma crainte de voir l’image du cauris se retourner contre nous dans les milieux évangéliques et musulmans. Dans un tout autre registre, Alfred Sama plaida pour que la couleur de fond du logo fût du bleue et non du vert. Le bleu en effet, étant une couleur primaire, était moins cher à imprimer que le vert qui est une couleur secondaire. Sa requête ne prospéra pas outre mesure. "Écoutez les amis, nous n’allons pas perdre davantage de temps ", enclencha Patrice Talon quand chacun de nous eu fini de parler. C’était la première fois que je l’entendais. L’épaisseur de sa voix dégageait plus de virilité que sa silhouette. Puis il développa : " sur le cauris, je n’ai rien à dire. Je trouve même que c’est une excellente inspiration parce qu’il s’agit de l’un des symboles les plus connus chez nous. Mais je propose qu’il soit agrandi et posé plutôt en face de la photo. Pour la photo elle-même, le mal est déjà fait. Il va falloir peut-être dans la mesure du possible lui faire un lifting". Un petit silence traversa la salle. Quelques usagers de la maison, désorientés, poussaient bruyamment la porte, avant de s’excuser et de la refermer avec encore plus de bruit. Je ne sus trop dans quel registre classer Patrice Talon. Homme d’affaire ? Homme politique ? Communiquant ? Car ce n’était pas la pertinence de son intervention qui me marqua, mais le sentiment qu’il me donna aussitôt qu’il faudra le convaincre sur tout. Une nouvelle facette ! D’autres, plus surprenantes suivront les semaines suivantes...
(Le chaudron en maintenance dès demain...Ce récit a commencé de façon accidentelle. Je ne l’avais pas programmé. Merci à tous pour les compliments. Mon inbox n’a jamais été aussi mouvementé !)

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron (11)

Décembre 2005. L’année s’étirait inexorablement vers son terme. Tellement le chiffre 2006 avait été martelé dans l’actualité politique les quatre dernières années, que le fait de se retrouver à seulement deux semaines de son avènement, me donnait une sensation presqu’iréelle. Nous étions en effet à la mi-décembre et le siège de campagne de Bar-Tito grouillait de monde et d’activités. Je pouvais y voir défiler à longueur de journées la plupart des leaders politiques, dont beaucoup s’affranchissaient déjà insolemment de l’emprise du Général Mathieu Kerekou. Malgré le refus silencieux de Yayi d’y mettre les pieds, la présence de plus en plus régulière de son premier cercle de soutien à l’Assemblée nationale, ainsi que de certains visages qui étaient déjà identifiés comme faisant partie de son pré carré, légitimait largement ce siège aux yeux du grand public.Les plus visibles et les plus engagés de ces soutiens parlementaires étaient entre autres, karimou Chabi Sika, Debourou Djibril, Saka Lafia et André Dassoundo. Ils étaient en première ligne de la riposte populaire organisée contre la loi sur la résidence obligatoire de un an exigible à tout prétendant au fauteuil présidentiel et qui excluait d’office Yayi Boni. La cheville ouvrière de cette cascade de marches dans les soixante dix sept communes du pays, fut Saka Lafia, avec comme moteur financier Patrice Talon qui, au moment de ce combat contre l’exclusion, n’était pourtant pas encore ouvertement yayiste.
Les populations riveraines du septième arrondissement de Cotonou, égayées par cette ambiance inhabituelle dont notre siège de campagne irradiait leur quotidien, s’enthousiasmaient de façon naturelle pour le yayisme naissant.
Ce n’était cependant pas ce tohu-bohu devenu familier, qui occupait mon esprit cet après- midi là. Vautré dans le fauteuil directeur déjà déséquilibré depuis que Didier Aplogan s’y était assis deux fois, et que j’occupais quand Charles n’était pas présent, j’étais perdu dans mes réflexions. J’essayais de comprendre cette position étrange dans laquelle je me retrouvais et qui me permettait de voir venir à toute vitesse deux trains, roulant en sens inverses, sur les mêmes rails. Le choc était inévitable. La réponse que me donna Yayi un jour où, avec enthousiasme, je lui faisais le point des facilités matérielles quotidiennes que nous avions au siège de Bar-Tito, finit par me convaincre définitivement du clash post-victoire en vue. " J’espère que chacun fait le point de tout ce qu’il prend là ", m’avait-il répondu, la voix lourde. Un autre détail me turlipunait. Je remarquais en effet qu’une certaine catégorie de proches du candidat ne mettait pas les pieds à Bar-Tito. Il s’agissait du lobby religieux évangélique que Yayi considérait comme sa dernière ligne de sécurité et à laquelle j’appartenais, ayant participé à sa mise en place. Ce lobby avait été bâti autour d’une dizaine de jeunes gens innocents et insouciants, d’obédience évangélique et fréquentant tous le Temple universitaire de l’église des Assemblées de Dieu. Un groupe au milieu duquel Paulin Dossa donnait souvent l’air de se tromper de génération. Nous avions du mal à déterminer son réel niveau intellectuel. Nous savions vaguement qu’il a étudié au Cuba. C’était le genre de profil peu étincelant que Yayi aimait déjà. Il avait un contrat à durée déterminée à l’IITA. Ce n’était pas l’envie de Bar-Tito qui manquait à ce groupe pour autant. Mais, habilement, ils étaient toujours directement orientés vers les imprimeurs Tunde et Jean Djossou pour leur approvisionnement en calendriers et posters de tous formats. Pour le reste, Yayi s’occupait personnellement de leurs desiderata.
A ce groupe de jeunes gens à qui Yayi savait tenir le discours religieux galvanisateur, se greffera progressivement des cercles de pasteurs et autres leaders évangéliques. Un article sommairement biographique que je publiai en fin 2003 dans un mensuel chrétien appelé " Shékina" et dont le promoteur n’était ni plus ni moins le remuant pasteur Michel Alokpo, fit en effet grand bruit dans les milieux évangéliques. Dans cet article que je soumis à validation de Yayi avant publication, je revisitai opportunément le parcours spirituel du président de la Boad, depuis son baptême dans la modeste chapelle Ueeb de Tchaourou, jusqu’à son retour en tant qu’enfant prodigue dans une église évangélique de Dakar, après plus d’une décennie dans un ordre ésotérique. Yayi qui, il est vrai , n’était pas à l’initiative de ce texte, surfa rapidement sur l’effet ainsi produit dans les milieux évangéliques qui étaient sa cible première. C’est dans cet article qu’apparut pour la première fois, et sur insistance du prétendant à la magistrature suprême, son prénom "Thomas" qui ne figurait pourtant nulle part sur son état civile. Mais ça faisait chrétien. C’était son prénom de baptême. Car il était né musulman. Yayi n’hésitait donc pas, lors des nombreuses visites que nous rendions à différentes églises évangéliques dans le sud du pays pour y célébrer le culte du dimanche, à reprendre inlassablement ce temoignage devant de petites assemblées émues. Il n’hésitait surtout pas à reprendre mot pour mot le contenu de l’article. Ce magazine " Shékina" fut d’ailleurs la porte d’entrée du pasteur Michel Alokpo à cadjehoun. Un personnage très haut en couleur, ce Michel Alokpo...!
Je repense avec amusement à ce déjeuner privé auquel nous fûmes conviés chez Yayi et auquel Alokpo prenait part pour la première fois. Comme d’habitude, un "Saint-Emilion" du meilleur cru accompagnait l’igname pilé qui était de loin le met préféré du maître des lieux. Quand vînt le moment de passer au breuvage, Yayi, souvent très chaleureux à ces circonstances, entreprit de servir, de sa propre main, la demi-dizaine de convives évangelistes que nous étions. Il tendit naturellement la bouteille vers le verre du pasteur Michel Alokpo assis juste à sa droite, en accompagnant son geste galant d’un petit commentaire. " Pasteur, c’est mon Bordeaux préféré ", dit-il. Mais à ma grande surprise, je vis Alokpo retirer promptement son verre en murmurant sans grande conviction quelque chose du genre " non ... non merci. Je n’en prends pas. Je suis pasteur ". Tout aussi surpris, Yayi fit une petite blague puis passa la bouteille sur tous les autres verres qui, sans résistance, accueillirent l’agréable liquide d’un rouge velouté. A la tête d’orphelin que faisait ensuite Alokpo, je compris qu’il s’en voulait déjà d’avoir jouer à ce faux numéro et de se retrouver ainsi avec un verre d’eau minérale autour d’une table où le vin rouge scintillait dans toutes les coupes. Mais Alokpo n’était pas homme à mourir de ses propres scrupules. D’un geste habile, il fit signe à l’agent du service traiteur qui se tenait impeccablement à l’écart. Celui-ci s’accroupit aussitôt à côté de lui pour prendre la doléance qu’il murmura. L’agent disparût puis revint avec un autre verre qu’il posa dignement devant lui. Puis, empoignant une seconde bouteille à moitié achevée qui trônait au milieu de la table, en remplit le verre du pasteur qui enfonçait son visage dans son assiette comme s’il voulait y aller directement avec les dents. Je réprimai péniblement une pouffe de rire. Yayi qui suivait la scène du coin de l’œil ne pût s’empêcher de se soulager en libérant sa parole. " Ah Pasteur... ? " fit-il avec beaucoup de sous-entendus. Nous éclatâmes tous de rire. Puis Alokpo, jamais vaincu, essaya, recits bibliques à l’appui, de nous expliquer la noblesse spirituelle du vin. Mais plus personne ne l’écoutait vraiment. D’ailleurs Yayi comprendra par la suite, au fil de ses rencontres avec les pasteurs évangéliques, que Michel Alokpo était loin d’être un cas isolé d’esquive sur fond d’esbroufe.
Le maillage systématique du milieu évangélique n’empêcha pas la persistance d’un problème qui devint au fil des jours la hantise de Yayi. Son nom : Luc Gnancadja...!

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(12)

La réunion de clarification et de remobilisation qui se tenait ce dimanche dans la résidence en face du temple universitaire de l’église des Assemblées de Dieu, paraissait d’une grande importance pour Yayi. Un vent d’apostasie soufflait en effet sur le petit noyau autour duquel il avait minutieusement bâti pendant trois longues années la grande machine de mobilisation qui infiltra la moindre congrégation évangélique dans les hameaux les plus reculés du pays. C’est que depuis plusieurs mois, le candidat se faisait de moins en moins accessible à ce groupe de jeunes pionniers du yayisme dont la plupart avaient pris leur engagement politique comme un devoir biblique. Mais Yayi avait, froidement, changé de paradigme de fonctionnement. Considérant avoir suffisamment avancé dans son maillage du milieu évangélique, il avait décidé de ne plus avoir pour interlocuteurs que les pasteurs et autres responsables d’église. Il y avait été sans doute encouragé par les plaintes sournoises et de certains de ces pasteurs qui, fins calculateurs, et voyant venir les enjeux, exigeaient de ne discuter qu’avec lui-même. C’était, après tout, les pasteurs qui dirigeaient les églises, pensait sans doute Yayi. Autant traiter alors directement avec eux. Et ça fait plus sérieux. Les nombreuses réunions de prière organisées par des groupes de pasteurs en sa faveur à travers le pays, se faisaient désormais à l’exclusion de ces ouvriers de la première heures dont certains commençaient à exprimer à voix audibles leurs frustrations. Et bientôt de méchantes insinuations sur la sincérité de la chrétienneté de Yayi commencèrent à rencontrer un silence complaisant de la part de certains d’entre nous qui, parfois, les relayaient carrément. Avait-il vraiment rompu avec Eckankar ? N’avait-il pas une autre vie inavouée ? Avait-il des addictions cachées ? Le cas du dictateur tchadien Tombalbaye qui, porté à bout de bras par les milieux chrétiens de son pays, devint un redoutable bourreau pour l’église dont il fit enterrer vivants nombre de dirigeants, était de plus en plus agité. Et si Yayi décida de revenir sur ses pas et de faire profil bas devant ce petit groupe, c’était surtout qu’il avait acquis la conviction que les nombreuses boules puantes qu’il recevait depuis un moment, venaient des lieutenants d’un autre prétendant à la magistrature suprême et qui pouvait jouir d’une plus grande légitimité dans le milieu évangélique que lui. Il s’agissait de Luc Gnacadja dont la candidature, en ce mois de décembre, devenait irréversible. Le candidat Yayi avait pourtant tenté le tout pour le tout afin d’obtenir le retrait de cette candidature qui devenait au fil des jours un cauchemar pour lui. Il n’y avait aucun doute, disait-il, cette candidature n’avait qu’un seul objectif : lui barrer la route dans le milieu évangélique. Et le manitou derrière cette candidature, selon lui, n’était autre que le pasteur Romain Zannou, jeune et fringant prédicateur qui fit son apparition sur la scène médiatique béninoise avec le retour au pouvoir du Général Mathieu Kerekou en 1996.

Le pasteur Romain Zannou était en ce temps-là une vraie méga-star dans les milieux évangéliques. Autant respecté, admiré que jalousé par ses autres collègues pour sa position privilégiée auprès du Général Mathieu Kerekou, il fut le premier pasteur à avoir flairé le potentiel que représentait Yayi dans la course à la succession du vieux caméléon. On le disait parrain de toute l’élite évangélique que Kerekou fit monter dans les grands milieux de décision, dont les moins connus n’étaient pas Joseph Sourou Attin , Luc Gnacadja et Simon- Pierre Adovelande qui prit son ascension dans la fièvre du festival Gospel & Racines. L’ombre de ce jeune pasteur planera sur tout le premier mandat de Kerekou 2 et même sur une partie du second.
Les origines de l’inimitié entre Yayi et le pasteur Romain Zannou demeurent brumeuses , mais avec cette constante que le pasteur reprochait à Yayi d’avoir juré en vain sur la Bible. Ce qui n’était pas rien comme accusation dans le milieu évangélique. Que s’était-il donc vraiment passé ce jour-là dans le bureau du président de la BOAD à Lomé ? Yayi avait-il vraiment nié devant le pasteur Zannou toute ambition présidentielle en allant jusqu’à jurer sur sur la bible ? Personne ne sait jusqu’à ce jour qui dit la vérité entre les deux protagonistes d’une scène qu’ils n’avaient vécu qu’à deux. Toujours est-il que le jeune pasteur qui, suite à un article publié par le journal " Le Progrès " en 2002, était allé proposer ses services comme coach spirituel à Lomé, en était revenu avec un sentiment de dégoût et de dépit. Yayi, soupçonnant une manœuvre des hommes du Colonel Houssou-Guèdè, avait simplement enfariné son interlocuteur. C’est vrai que Yayi, avant la parution de ce numéro qui jeta un jour cru sur lui, n’avait encore jamais osé discuter de ses ambitions politiques que dans un cercle très fermé dans lequel on pouvait citer ses deux amis d’enfance, Théodore Aloko qu’il fit monter à la Boad après sa nomination comme président de l’institution, et Ishola Bio Sawé. Il essayait de son mieux de ménager les susceptibilités du Général Mathieu Kerekou et surtout celles du timonier Gnassingbé Eyadema dont les moindres réactions auraient pu être préjudiciables à la poursuite de sa mission à la tête de l’institution sous régionale.
La frustration du pasteur Zannou fut donc grande quand le même Yayi qu’il affirme avoir vu jurer sur une bible, entama des manoeuvres de conquête dans le milieu évangélique sans aucune autre forme d’explication. Son engagement derrière la candidature de Luc Gnancadja en 2006 trouve peut-être là son essence. Il tenait sans doute à donner le change à un Yayi pour qui il n’avait désormais qu’un royale mépris.
La décision de Yayi de faire profil bas et d’accepter enfin cette séances souhaitée depuis des mois, était donc surtout motivée par la menace de dispersion des voix dans le grenier électoral évangélique que faisait planer la candidature de Luc Gnancadja. Yayi ne se sentant plus seul maître à bord, s’était humblement résolu à écouter ses premiers apôtres qu’il rangeait déjà sans état d’âme dans le casier des oublis. Et la séance qui venait de commencer ce dimanche, sera quelque peu tendue...

Mémoire du chaudron(13)

Le pasteur titulaire du temple universitaire de l’église évangélique des assemblées de Dieu qui tenait le rôle de facilitateur à cette rencontre, fit une petite introduction liminaire piquée de petites flatteries à l’endroit de celui dont la victoire, dans nos esprits, se dessinait de plus en plus nettement pour l’élection présidentielle, puis termina avec emphase par un émouvant " monsieur le président, vos soldats veulent vous parler". Yayi qui semblait boire au sens propre ce petit discours introductif, fit signe au pasteur de prendre de prendre la direction de la séance. Chacun de nous eu rapidement la parole pour se présenter. Quelques nouveaux visages s’étaient en effet ajoutés à ceux devenus habituel pour le candidat. Quand fut terminé ce genre de petit rituel, le premier d’entre nous qui fut autorisé à rentrer dans le vif du sujet, se remit à nouveau à se présenter. Ceci fit courir un murmure d’exaspération dans la salle. La manœuvre n’était pourtant pas innocente. En effet, Paulin Dossa et moi qui avions, dans le groupe, le privilège d’être en contact direct avec Yayi, avions le dos large pour subir les récriminations incessantes des autres. "Yayi ne connaît toujours pas mon nom " s’était agacé un jour l’un d’entre nous. Et la faute, pour eux, était forcément imputable à ceux qui, étant en contact avec lui, ne faisaient pas grand effort pour que les autres sortent de l’anonymat depuis trois ans. C’est à dire "Frère Tiburce et Frère Paulin". L’occasion était donc belle pour rectifier "in live" ce "tchédjinnabisme". Les échos de quelques accusations jamais ouvertement assumées, m’étais souvent parvenues, dans ce sens. Mais mes sept ans de pratiques relationnelles dans ce milieu, depuis mon baptême en 1998, m’avaient aguerri à maints égards. J’avais appris à ne pas attendre grand chose des effusions de spiritualité en ce qui concerne la vertue dans les relations interpersonnelles.
Une fois que le remous d’exaspération se fût calmé, celui qui avait la parole demanda, avec un geste de la main droite, la clémence de l’assistance, puis enchaîna : "monsieur le président. Depuis trois ans, j’ai parcouru routes et pistes pour prêcher votre nom. Mais aujourd’hui, j’ai une préoccupation. Je veux que vous nous confirmiez ici, devant Dieu et devant les hommes, que votre confession vis-à-vis de Christ est sincère".
Un silence glaciale s’abattit quelques secondes sur l’assistance. Je sentais comme mille petites aiguilles futées me lacérer le corps. Même si j’avais déjà entendu ce genre de réflexion dans le groupe, je le mettais juste sur le coup de la frustration ambiante compréhensible. Car comment jugeait-on de la sincérité de la foi religieuse de quelqu’un ? Et ce genre de question, pensais-je, reprenait au mot près les flèches venimeuses que lançaient à longueur de journée les lieutenants de Luc Gnancadja.

Le duel Yayi-Gnacadja se déroulait à travers une ligne de faille invisible qui traversait le milieu évangélique. Il y avait en effet deux types d’évangélisme qui se toisaient et se défiaient de façon imperceptible pour l’observateur non averti. Il y avait l’évangélisme pondérée, froid, presque cérébral, incarné par des églises évangéliques séculaires établies au Bénin, comme par exemple l’UEEB ( Union des églises évangéliques du Bénin), les églises évangéliques baptistes, les églises évangéliques des Assemblées de Dieu. L’autorité de celle- ci sera rudement secouée par le courant évangélique pentecôtiste, caractérisé par un évangélisme plus démonstratif, surfant essentiellement sur les manifestations charismatiques et le para normale. Ce second courant, inspiré par le pentecôtisme nigérian, connu une progression fulgurante avec la montée en puissance des figures emblématiques comme le pasteur Romain Zannou, au milieu des années 90. Les tendances intégristes qui pouvaient parcourir régulièrement cette frange d’églises évangéliques, rendaient particulièrement nuisibles les suspicions comme celles que les lieutenants de Gnancadja faisaient ouvertement circuler sur notre candidat. Mais de là à venir poser une question aussi saugrenue...!
Mû comme par un ressort, je me tins aussitôt debout et pris la parole, sans l’avoir demander. Dans une longue digression nerveuse dont je ne me souviens plus aujourd’hui de la teneur, et qui avait l’avantage de dissocier le reste du groupe de l’initiative de cette question, je rassurai Yayi de notre disposition à maintenir le cap. Quelques applaudissements hésitants accueillirent mon discours. A ma suite, le pasteur prit la parole puis, après avoir déploré le manque de maturité de l’intervenant malheureux, présenta au nom de tout le groupe, des excuses à Yayi qui essaya ensuite longuement de donner l’assurance de sa hauteur d’esprit par rapport à l’incident. Une effervescente séance de prière clôtura la rencontre qui n’alla pas bien plus loin. Mais le mal était déjà fait. On ne touchait pas impunément à certains complexes de Yayi. Et à part Paulin Dossa et moi et peut-être un troisième, tout le reste de ce groupe de pionniers du Yayisme, après avoir fait le plus dur, sombra dans l’oubli pour les dix ans de règne du président Boni Yayi. Vous allez me parler sans doute de "Maman Glessougbe" .Je vous vois venir...
Assis donc dans ce fauteuil directeur ce jour-là à Bar Tito, je repensais à tous ces frères qui n’y mettaient jamais le pieds. Je repensais aussi à cette réunion fondatrice de la conquête du pouvoir à laquelle je pris part le 1er Novembre 2003 à Ouake et dirigée par Yayi en personne. Qu’étaient devenus les participants dont je ne voyais aucun au siège de campagne de Bar Tito ? Quelques éclaires inattendus avaient également zébré le ciel de ce côté là.

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(14)

Quelque chose semblait ne pas tourner très rond ce lundi soir chez Francis da Silva au quartier JAK. Ça faisait plus d’une demi-heure que nous étions assis, mais le maître des lieux, qui dirigeait également nos réunions, était toujours au téléphone dans la vaste cour jouxtant la véranda où nous travaillions à cause de l’agréable courant marin qui la balayait. De ma position, je pouvais le voir, téléphone vissé à l’oreille, aller et venir lentement dans la cour faiblement éclairée par des lampes de jardin dont les lueurs étaient parfois atténués par des touffes de fleurs. Je distinguais parfaitement ses mouvements à travers le déplacement dans la semi-pénombre, de la couleur blanche de sa chemise en laine.
Ma première rencontre avec ce sexagénaire sympathique, bon vivant et au raffinement inattaquable, remonte à fin Novembre 2003 dans un décor plutôt inhabituel. C’était à l’occasion d’une réunion de prise de contact qu’il initia sur son bungalows construit sur pilotis au coeur du lac Ahémé. Une rencontre à laquelle Charles Toko et moi fûmes conviés. Je fîs le trajet jusque-là bas dans la voiture de Charles. Une Golf version Sport, si mes souvenirs sont bons. Inutile de souligner le grand écart que je constatai entre l’extérieur assez bien entretenu du véhicule et son intérieur puant le tabac et où traînaient des mégots.
Le bungalows était entièrement en bois et offrait toutes sortes de commodités. On y accédait par une longue passerelle également en bois, soutenue par deux rangés de pieux profondément enfoncés dans la vase du lac. Une fois dans ce bungalows qui offrait une vue panoramique rare sur le lac, Francis da Silva décrispa rapidement l’atmosphère en faisant une série de petites blagues au fur et à mesure qu’il nous serrait la main. J’avoue que je fus distrait tout au long de la réunion par l’image insaisissable des piroguiers vogant nonchalamment sur cette eau dont les vaguelettes faisaient un incessant ploc ! Ploc ! contre les solides pieux qui soutenaient la paillote. De temps en temps, l’effet du vertige aidant, j’avais l’impression que le bungalows dérivait. A la fin cette réunion de prise de contact qui nous marqua, il fut convenu que les réunions suivantes se tiendraient de façon hebdomadaire à Cotonou, au domicile de notre hôte du jour.
La résidence de Francis da Silva à Cotonou est une vaste propriété du quartier JAK. Zone anciennement bourgeoise, dont le prestige et la notoriété furent, au fil du temps, mis à mal par de nouveaux chantiers immobiliers aux abords de l’aéroport international de Cadjehoun et sur la zone ouest de la plage de Cotonou. Cependant, ce quartier dont la plupart des habitations cossues se vidaient de leurs occupants, conservait toujours sa fière allure d’antan. Situé à un jet de pierre de la grande mosquée, la propriété, entourée d’une haute muraille d’un blanc impeccable, était divisée en deux domaines. Au fond du premier domaine se dresse, majestueux, un bâtiment de belle taille abritant une vaste salle des fêtes polyvalente. La vaste cour qui y donnait accès était agréablement plantée de jardins et d’aménagements divers. C’est la "Résidence les Hortensias" qui accueillait chaque week-end, diverses manifestations de réjouissance. De là, on accédait au second domaine par un portillon métallique. Ici se trouvaient les appartements privés. Une grande villa de style brésilien entourée sur la moitié de son périmètre, d’une belle véranda.
Nous parcourions silencieusement cette grande véranda sur toute sa longueur pour rejoindre une autre, plus petite et moins exposée. Et puis là nous nous lachions comme des gamins. Cette discrète petite véranda était devenu, en effet, notre territoire après un an et demi de rencontres hebdomadaires ininterrompues. Charles s’y était fait voir une ou deux fois, mais avait vite disparu en pestant contre l’ambiance d’indécision et surtout d’inaction qui, disait-il, caractérisait les réunions.
Francis da Silva nous rejoignit enfin en s’affaissant lourdement sur sa chaise comme si tout le poids de l’humanité pesait soudainement sur ses épaules. Il poussa un profond soupir en grattant frénétiquement le grand bloc-notes posé devant lui sur la table, avec le dos de son stylo. Nous étions suspendus à ses lèvres. Puis, redressant brusquement le torse, il lança comme pour se débarrasser d’une patate trop brûlante : "mes chers amis, il y a une mauvaise nouvelle". Il se tu encore quelques secondes qui me parurent une éternité, puis enchaîna :" notre frère de lutte Bio Sawé Ishola a rejoint le groupe des révisionnistes. Le ministre Arouna Aboubacar vient de le nommer directeur de l’Infosec. Je l’ai eu longuement au téléphone. Il a confirmé l’information et ne semble rien regretter. Je viens de raccrocher aussi avec le président Yayi, il nous demande de rester fort".
Un silence plat s’abattit sur l’assistance. Je ne savais trop quoi penser de la situation. Pour tout ce qui le liait à Yayi, Ishola Bio Sawé était celui dont je pouvais espérer le moins une pareille désertion. Que s’était-il passé ? C’est vrai que depuis deux semaines, sa place habituelle autour de la table était demeurée vide. Mais ce n’était pas suffisant pour éveiller quelque soupçon que ce soit. En tout cas, pas sur cet ami d’enfance que tout semblait souder à Yayi et dont le jeune frère, Yacoubou Bio Sawé était le premier porte-voix du yayisme à travers le pays qu’il signonnait depuis 2001 pour susciter divers mouvements de soutien. Quelle lecture faire de la situation ? Ishola Bio Sawé était pourtant avec nous à Ouake.

Sorti de ma douloureuse torpeur, mon esprit s’attarda un peu plus sur une autre chaise qui restait inoccupée de façon continue depuis plus d’un mois. Celle du professeur Fulbert Gero Amoussouga. Un autre compagnon de Ouake qui ne décrochait plus son téléphone...
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(15)

Un soleil de plomb irradiait le petit village frontalier de Ouake lorsque nos voitures franchirent le seuil du portail donnant accès à une vaste cour plantée d’arbres aux feuillages touffus. Une bâtisse à un ou deux niveaux à l’aspect savant trônait au fond, à droite de l’entrée. Le calme qui y régnait en ce 1er Novembre 2003 n’était perturbé que par les bruits de mortiers dont la cadence s’accélérait au fur et à mesure que la cour se remplissait de nos véhicules. " Bienvenus chez moi " , nous lança Kessile Tchalla en nous embrassant chaleureusement aux pieds des marches d’escaliers donnant sur la petite véranda du rez-de- chaussée. Il mit un point d’honneur à nous faire individuellement l’accolade, avant de nous inviter à monter à l’étage où se trouvaient déjà Yayi qui devisait bruyamment au milieu d’une demi-dizaine d’autres personnes dont une ou deux m’étaient inconnues. Nous étions venus avec un temps de retard. Notre voyage ne fut pas facile en effet.
Partis de Cotonou aux environs de 8h, nous devrions rallier deux autres voitures à la hauteur de Bohicon pour faire la suite du trajet en convois. A bohicon nous attendaient, alignées sur le bas-côté du goudron, un peu après le grand carrefour Mokas, les voitures de Tunde et de Gero Amoussouga. J"occupais, avec Issifou kogui Ndouro et Paulin Dossa, une Toyota Carina 3. Pour des raisons d’ordre pratique, la voiture de Tunde qui signalait quelques détresses mécaniques malgré son état neuf, prit la tête de ce modeste convoi. Nous roulions donc à vitesse moyenne, nous arrêtant de temps en temps pour laisser redescendre l’aiguille de chauffage de la voiture de tête. Mais à la sortie de Savalou, un peu au milieu de nulle part, la voiture de Tunde donna les feux de détresse et eu juste le temps de quitter la chaussée avant de s’immobiliser. Un problème de courroie-alternateur, nous dit le chauffeur après avoir jeté un coup d’œil dans le capot.
C’est dire que notre arrivée à Ouake après quinze heures alors que nous y étions attendus avant midi, fut pour nous un immense soulagement. Il m’arriva plusieurs fois par la suite, lors des dialogues de sourds qui m’opposaient à Tunde et en pensant à ce pénible voyage sur Ouake, de me dire avec amusement : " ce type était un vrai boulet depuis le début".
Aussitôt arrivés, nous passâmes directement à table. " l’igname pilée n’attend pas", répétait Tchalla en mettant du mieux qu’il pouvait, l’ambiance dans la salle. Le déjeuner à peine terminé, nous entrâmes directement dans le vif du sujet. Nous étions au total 13 dans la petite salle. Ce fut encore le docteur Kessile Tchalla qui se mit debout pour introduire la séance. C’était un homme au verbe facile et succulent. Sa silhouette sèche et ingrate cachait une nature pourtant vive. C’était un homme cérébrale, avec une vaste culture. Je m’en étais aperçu lors des interminables débats que j’avais déjà eu avec lui sur différents sujets. Il trouvait toujours le moyen de lancer un sujet de réflexion et de supputation là où on s’y attendait le moins. Comme ce matin là où je le rencontrai à un petit déjeuner à trois au domicile de Yayi à cadjehoun. Sans que ne comprenne très bien ses motivations, Tchalla passa une grande partie du temps que dura le petit-déjeuner, à expliquer les méfaits de la consommation de l’œuf. Le problème, c’est qu’à la fin, il ne restait pas une miette de la vaste omelette qu’il avait dans son plat. J’appréciais surtout son optimisme qu’il savait rendre contagieuse. Il faisait partie de ce que nous appelions " le groupe de Paris" et qui était composé de lui-même, de Issifou Kogui Ndouro, de Patrick Benon, de Antony Zinsou et de Max Awêkê. Un groupe que je trouvais surcôté. Le tribun conclut donc son introduction en invitant par un geste impeccable que nous faillîmes applaudir, "notre champion" à prendre la parole.
Yayi prit la parole puis, dans une effusion d’humilité, salua notre présence à cette rencontre qui, dit-il, devrait trancher définitivement la question de sa participation ou non à l’élection présidentielle de 2006. Cette façon de présenter la chose me surprit. Je savais en effet qu’il ne pensait qu’à celà. Derrière la large fenêtre dans son dos, mon esprit voltigeait dans le magnifique paysage de vallons qui s’étalait au loin. Au fil de son développement, je compris avec stupéfaction que Yayi passait un message à Kerekou. Moi, disait-il, je ne serai jamais candidat contre mon papa. Il a été tout pour moi. Et si c’était sa volonté de se maintenir au pouvoir, je serai le premier à m’engager dans sa campagne.
Ce discours de Yayi, pour moi, signifiait une seule chose : il y avait au moins une personne dans la salle dont la présence ne le rassurait pas. Était-ce dans le même esprit qu’à la fin de la séance, il attira opportunément notre attention sur le nombre que nous faisions autour de lui ? 12...comme dans les évangiles ! Et dans ce cas, il y avait alors très certainement de la trahison dans l’air.
En observant les sièges vides ce soir au domicile de Francis da Silva, je repensai à ce jeu d’esprit de Yayi à Ouake. Mais je me disait aussi qu’il ne pensait sans doute ni à son ami de jeu et de classe, Ishola, ni à son camarade d’amphi et des 400 coups, Fulbert Gero Amoussouga. Mais la réalité était là. Ishola était passé à l’adversaire avec arme et bagages, en faisant circuler une réflexion bien sentie : " Yayi se satisfait de voir les autres à sa table tous les week-end. J’ai l’âge d’avoir ma propre table".

Quant à Amoussouga, il avait joué plus soft. Il nous fit parvenir plus tard le message sur la difficile conciliation entre sa position à l’Université et tout engagement politique ouvert.
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(16)
Quand je vins à Bar Tito cet après-midi, l’ambiance était animée dans la deux-pièces qu’occupait la cellule de communication. Nous devrions faire avancer un projet cher à Charles Toko : la mobilisation des artistes autour de la campagne de Yayi Boni. Dans cette phase d’activité, je retrouvais de plus en plus Richmir Totah, un amoureux de la chose culturelle, amateur de son et de spectacles qui me fut présenté quelques semaines plus tôt. Notre contact fut d’autant plus facile que je découvris son parcours qui était des plus atypiques. Richmir avait beau avoir âprement étudié l’agronomie, il ne s’en était remis qu’à la guitare-bass et à sa passion de l’organisation des spectacles pour le restant de sa vie. Il était agréable de compagnie et je je m’étais très vite lié d’amitié avec lui. Il espérait tout de la victoire de Yayi et sa motivation était une source supplémentaire d’énergie pour moi. Je voyais également venir de plus en plus au siège de campagne, un jeune homme clair, court sur pieds, dont la vivacité du regard contrastait avec sa forme qui annonçait des rondeurs futures. Un certain Sidikou que Charles prenait au téléphone un nombre incalculable de fois par jour, au point parfois d’appeler n’importe qui Sidikou par lapsus, dans ses moments de grande fatigue. C’était un de ses handballeurs, m’avait-on expliqué. J’avais fini par cerner un aspect du fonctionnement de Charles. Il avait constamment besoin d’un homme de main. Et tous ceux que j’avais vu se succéder autour de lui venaient exclusivement du milieu du handball dans lequel il s’investissait beaucoup, même si les grosses bulles de fumée de cigarette derrière lesquelles il disparaîssait souvent, me faisaient douter de ses réelles aptitudes physiques à tenir la durée d’un set. Avant Sidikou, il avait eu comme homme de main, un jeune et talentueux handballeur du nom de Ousmane Labo qui lui resta si fidèle que chaque fois qu’il apparaissait à notre rédaction au journal Le Progrès, on pouvait deviner sans erreur une commission de la part de Charles Toko. Après Labo, il y a eu, de façon transitoire, un autre handballeur, Tchobo Yacinthe dont il fit le responsable de l’imprimerie du journal Le Matinal. Que devenaient ensuite toutes ces fidélités derrière lui ? Question.
Toujours est-il que ce soir, nous avions à faire un premier point sur l’avancée des contacts avec les artistes et sur les passages en studio de ceux qui étaient prêts. La bonne nouvelle, c’est que quelques sons étaient déjà disponibles, dont notamment ceux de Gbessi Zolawadji et de Gbèzé. Ah oui Gbèzé ! c’était ce trentenaire noir, à l’allure quelconque et aux cheveux coupés en "Karl Lewis", que je rencontrai un jour dans le modeste bureau qu’occupait Benoît Degla à Bar Tito en tant que Secrétaire général du siège de campagne. Ils étaient en effet tous les deux de Ouessè et j’avais vite compris que ce n’était pas la seule raison pour laquelle l’artiste lui donnait du "fofo" à profusion. Ces génies de nos localités étaient habiles, en effet, pour savoir rendre les honneurs à ceux de leurs corégionnaires qu’ils savaient capables de régulières générosités. Dans le bureau de Degla, les discussions avec Gbèzé, bien que très détendues et très fraternelles, semblaient néanmoins bloquer sur un point. L’artiste avait déjà pris un engagement avec Edmond Agoua pour le compte de la cérémonie de déclaration de candidature de Bruno Amoussou prévue pour début 2006. A défaut donc de l’exclusivité que Benoît Degla négocia vainement, il nous proposa une semaine plus tard un titre à la gloire de notre candidat, qui nous mit immédiatement tous d’accord, tant par le lyrisme que par la rythmique.
Des propositions spontanées, venant d’artistes plus ou moins sérieux, atterrissaient chaque jour à notre bureau. Un jour, pendant que j’étais seul, sans doute occupé à parcourir les journaux, un jeune homme mince, de teint clair, aux cils et sourcils noircis à l’antimoine, me fut introduit. Il tenait un CD et demandait à voir un responsable. Il venait, disait-il, de la part de Paulin Dossa. Mais ses airs efféminés et ce petit foulard blanc dont il s’était ceint la tête, ne me le rendaient pas particulièrement agréable . D’un geste négligeant, je tendis la main pour prendre le CD qu’il tenait. Mais son refus fut net et ferme. Il voulait, disait-il, faire écouter sa composition et repartir avec son CD. Je l’abandonnai à son sort puis replongeai dans ma lecture. Je rencontrerai cet artiste plus tard en une circonstance plus étincelante. Son nom : GG Lapino. Le morceau qu’il eu du mal à me faire écouter deviendra l’hymne de notre campagne dans toute la partie méridionale du pays et révolutionnera durablement la communication politique en période électorale au Bénin.
Une rencontre atypique était à notre agenda dans ce soir. Mon ami Hervé Djossou avait réussi à obtenir un rendez-vous pour nous avec Alekpehanhou, le virtuose du zinli. Charles et moi avions décidé de jouer le tout pour le tout pour avoir cet immense talent sur notre album, même si , à priori, les choses ne se présentaient pas très bien pour nous de ce côte là.
En effet, Alekpehanhou dont la voix planait sans partage sur le milieu ethnique et culturel fon, depuis le milieu des années 80, venait de jeter, coup sur coup, deux gros pavés dans la marre boueuse des préjugés transe ethniques, sur deux albums consécutifs. Prenant prétexte sur un banal conflit de voisinage qui n’en méritait pas plus, l’artiste avait lancé un tonitruant et audacieux appel à l’union des fons qui, selon lui, seraient alors les mal-aimés de la communauté nationale. Puis, face à l’absence générale de réaction d’indignation, il en remit une autre couche plus lourde et plus visqueuses, sur son album suivant, avec un morceau plus structuré, mieux enroulé et dangereusement plus incitatif. J’en alertai Charles qui, sans forcément en faire toute une montagne, rappela néanmoins très sèchement à l’ordre, l’animateur en langue fongbe sur Océan FM, un des nombreux dah autoproclamés qui sévissaient alors sur les radios urbaines. Celui-ci avait pratiquement érigé en hymne, un des ces deux tubes incendiaires qui ouvrait systématiquement sa tenue d’antenne à onze.

Mais la verité, en ce mois de décembre 2005, c’est que je faisais déjà violence sur moi- même pour ne pas soigner mes débuts de frustration, en jouant en boucle ces morceaux perfides de Alekpehanhou chaque fois que je me retrouvais seul. Yayi avait beaucoup cacher son jeu, j’avais déjà capté des indices révélateurs du profond complexe que lui inspiraient les fons. Mais tout ça n’était pas important, me disais-je, on gagne et on verra le reste. D’ailleurs l’artiste controversé venait de marquer son accord pour nous recevoir à son domicile. Charles et moi étions attendus à 17h à Zogbohouè...
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(17)

Vingt minutes de traversée d’une des artères les plus encombrées de Cotonou, et quelques entrelacs de ruelles sablonneuses plus tard, nous étions devant le domicile de Alekpehanhou dans un dédale de Zogbohouè. Dix huit heures n’étaient plus loin. A l’accueil que nous fit la jeune femme à l’entrée de la maison, nous comprîmes que le rendez-vous avait vraiment été pris et que le maître de maison nous attendait. Nous longeâmes une véranda qui donnait accès au bâtiment central de la maison. Dans la petite cour, une camionnette garée et portant écrit sur ses portières, " Alekpehanhou" rendait la maison exiguë. En parcourant cette véranda, mon regard explora furtivement la construction la plus visible au-delà de la clôture. " serait-ce le voisin dont la difficile cohabitation avec l’artiste, inspira cet appel à l’unité ethnique des fons ? ", me demandai-je silencieusement. Je n’en saurai hélas pas grand-chose. La jeune dame que je semble avoir déjà aperçue dans un clip audiovisuel nous introduisit avec beaucoup de bonnes manières dans le séjour qui, curieusement, était vide. Charles Toko, Hervé Djossou et moi, prîmes silencieusement siège. Dans cette attente qui commençait à durer, je ne pus m’empêcher de repenser à la première fois où je savourai un morceau de l’artiste. 1987 ? 1988 ? 1989 ? Je ne me souvenais plus exactement. Ce dont j’avais un souvenir assez précis, c’était l’unanimité qui s’était faite autour du morceau " mi gni gbessou", dans toute la communauté fon de Parakou. Le jeune collégien que j’étais, développait déjà un sens poussé de l’analyse des oeuvres de l’esprit. Cet artiste qui semblait surgir de nulle part et qui chutait audacieusement tous ses morceaux par un défiant "mi so gbe ha" excitait déjà énormément ma curiosité et envoyait dare dare dare les cordes toute une génération de vénérables maîtres du Zinli dont mon père avait les cassettes : Djèmin Pierre, Houlovo Hoonon, Émile Aligbè, Wolo, Tokannou Agbehounkpan, pour ne citer que ceux-là. Puis les titres à succès s’enchaînèrent de façon ininterrompue. Quand je descendis à Abomey au début des années 90 pour y poursuivre mes études secondaires, je pus constater la domination outrancière qu’exerçait alors Alekpehanhou sur la culture fon. Et c’est très peu exagéré que d’affirmer que l’artiste avait imposé une façon de penser dans la capitale historique. Il était pratiquement impossible, de jour comme de nuit, de ne pas entendre au loin, un refrain connu de l’artiste. Abomey était en effet une ville ou ne manquait jamais une ou des cérémonies d’enterrement. Je garde de mes deux années académiques passées au Lycée Houffon d’Abomey, ces moments où nos silences studieux étaient systématiquement virussés par l’écho lointain des roulements de tambour de Alekpehanhou, roulements de tambour qui ondulaient jusqu’à nous par intermittence. C’était ça, le Abomey que je découvris en 1991 sous l’emprise de celui qui s’autoproclama "roi du zinli rénové" et dont le talent et le génie ne souffraient d’aucune contestation. Je ne pus rester insensible à cette fièvre culturelle qui secouait alors la ville. Et à chaque nouvelle sortie d’album, l’artiste savait renforcer sa réputation d’excellent pamphlétaire, de brillant chanteur et d’observateur averti de la société fon dont il peignait les tares avec une justesse rare.
Loucou Michel à l’état civil, cet ancien instituteur originaire de la ferme de Lèlè à une quinzaine de kilomètres d’Abomey, profita, dit-on, du programme de départ volontaire à la retraite encouragé par le Programme d’ajustement structurel imposé au milieu des années 80 par le fonds monétaire international, pour échapper à une affectation administrative derrière laquelle il voyait la main d’adversaires jaloux de sa personne et de son groupe folklorique naissant. Cette liberté acquise lui permettra de s’adonner entièrement à sa passion première qu’est le rythme "zinli". Son niveau d’instruction fut sans doute un atout qui le rendit apte à explorer un champ thématique plus vaste que la plupart de ses prédécesseurs. Il n’éprouvait d’ailleurs quelques fois aucun complexe à chanter avec brio des fables entières de Jean de la Fontaine. Mais ce qui le fera passer à la postérité, c’est ce sens acéré de la satyre, de la caricature et de l’allusion qui laissa de biens mauvais souvenirs à ceux qui eurent le malheur de faire partie de ses sujets d’inspiration. La matérialisation la plus sensible de cet art fut son morceau " Cakpo sin han" qui fut pendant longtemps source de controverse. Cependant, l’influence de l’artiste ne se limitait pas qu’à la seule ville d’Abomey. Elle couvrait toutes les aires géographiques d’expression de la langue fongbe. Il n’était d’ailleurs pas rare de voir des attroupements de conducteurs de taxis-motos et de badauds devant ses kiosques à chacune de ses sorties d’album. C’était donc en connaissance de cause que je plaidai pour qu’il figurât sur notre album de campagne. Il nous le fallait à n’importe quel prix...!
Bientôt un quart d’heure que nous étions là, assis dans le silence de ce séjour dont le propriétaire se faisait désirer. Nous gérions notre anxiété du mieux que nous pouvions en devisant à voix basse tantôt sur la meilleure façon de lui présenter notre offre, tantôt sur l’une des photos accrochées au mur et qui, pensions-nous, ne pouvait être que son père. Soudain la porte en face de nous et que l’encombrement du mur ne m’avait pas permis de bien repérer, s’ouvrit dans un léger crissement. Alekpehanhou apparut, majestueux, drapé d’un grand pagne qu’il jeta par dessus l’épaule gauche, et qui étouffait passablement l’éclat d’un habit "bomba" en tissus "lessi" de couleur blanche. Sous l’effet de la surprise, nous nous levâmes mécaniquement. Ce qui, me sembla-t-il, ne devrait pas lui avoir déplu, puisqu’il n’insista pas outre mesure pour que nous nous asseyions. Il nous serra la main puis arrivé au niveau de Hervé Djossou, fit un geste de familiarité. Il prit siège en face de nous en maintenant une telle dignité dans le port que je commençai à y percevoir un message à l’endroit de quelqu’un d’entre nous trois. Charles Toko sans doute...
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron(18)

Je ne sais si mes compagnons captaient les mêmes signaux que moi. Mais l’orchestration de la séance me semblait porter un message. Je n’espérais pas rencontrer un artiste particulièrement humble, mais là il était évident que Alekpehanhou avait sa petite idée sur les gens assis en face de lui. Un détail attira particulièrement mon attention. C’est ce mouvement presque imperceptible des muscles de sa mâchoire pendant qu’il écoutait Hervé Djossou introduire la séance. En termes clairs, je soupçonnais notre hôte de s’être glisser une noix sous la langue. C’est vrai qu’en ce temps là, Charles n’était pas exempte de tout reproche. Dans le zèle de son engagement yayiste, il avait signé quelques textes excessifs dans son journal "Le Matinal". Par exemple, à la suite d’une déclaration politique de Adrien Houngbedji, il signa un brûlot sobrement intitulé "Kerekou fait tout au Nord" et dans lequel il conduisit sans ménagement et dans un style très saccadé dont il avait le secret, une protestation intellectuelle contre cette victimisation latente qui s’observait au sein d’une partie de la population par rapport à la longévité du pouvoir d’État dans les mains de Kerekou, originaire bien entendu du nord. Un état d’esprit auquel Houngbedji essayait habilement de donner écho sans en paraître. Évidemment, dans cet éditorial que Charles signa à la Une de son canard sous la rubrique "Façon de voir", des expressions tout aussi condamnables comme " Nord"..."Sud"..."Populations du nord"..."Populations du Sud", voltigeaient à longueur de texte. Il remettra le couvert plus tard dans la fièvre du vote de la loi sur la résidence obligatoire, avec une machette sans équivoque : "Kerekou veut brûler le pays". Je pensais pas forcément que notre hôte avait forcément lu ces faits de plume de Charles, mais j’étais très convaincu que l’interdiction qui fut faite à l’animateur en langue fongbe de Océan FM de continuer à ouvrir l’antenne avec le tube ethnocentrique de Alekpehanhou, était parvenu jusqu’aux oreilles de l’artiste qui devrait bien savoir suivre le comportement de ses différentes oeuvres musicales sur les radios. D’ailleurs je ne manquai pas d’attirer l’attention de Charles sur cet aspect de la situation qui pourrait bien ne pas rendre particulièrement fluide notre entrevue. Mais cette mâchoire de l’artiste qui bougeait comme celle d’un ruminant me posait un problème d’un tout autre genre. Nous prenaient-ils pour des entités spirituellement hostiles ? Nous avait-il laissé mariner dans son séjour, le temps de mâchouiller quelques feuilles ou dire quelques paroles fortes ? Trêve de supputations. Je savais à peu près l’approche que Charles avait sur ce genre de sujet ; une approche très utilitaire. Capter et utiliser les forces spirituelles d’où qu’elles viennent, pourvu qu’elles servent à obtenir un résultat. Ainsi, bien que portant ce prénom très occidental, il savait exhiber un second prénom musulman plus discret pour faire bonne figure lors des célébrations mahométanes. Il croyait à tout... ou alors il ne croyait à rien du tout. Mais il savait prendre la fois religieuse de ses compagnons avec beaucoup d’esprit d’ouverture, comme ce jour où je descendis lui porter un message au rez de chaussée de l’immeuble qui abritait son groupe de presse à Atinkanmey. Je le trouvai là, chez son beau-frère, Oba Denis, en train de faire la chaude gorge autour d’une petite dame-jeanne dans laquelle une mixture brunâtre d’alcool noyait un cobras momifié et roulé en colimaçon. Charles me tendit vaillamment un verre pour que je me serve. Ce que je rejetai avec fermeté et courtoisie. "Ah te voilà, vous les pasteurs. Ça c’est pas du gris gris hein...C’est pour être garçon à la maison". Nous éclatâmes de rire. Denis Oba avec qui je n’étais pas encore très habitué, enchaîna avec une autre blague qui permit à Charles de me répéter une mise en garde qu’il me ramenait très souvent : "Tiburce, dis à Yayi qu’il ne peut pas gérer le Bénin avec la Bible". "Et pourquoi ?" lui demandai-je. "En tout cas, faites pour vous, nous allons faire pour nous", asséna-t-il puis, jamais à cours d’une confidence souvent improbable mais sur laquelle il s’empressait de prendre à témoin la tombe de sa mère, il nous raconta quelques "courses" qu’il faisait pour la protection de Yayi dans certaines contrées éloignées du nord.
Lorsque Hervé Djossou eu fini de présenter le décor, un court silence régna, au bout duquel je pris la parole pour exprimer de façon plus précise notre souhait de voir Alekpehanhou figurer sur notre album de campagne. Je passai ensuite la parole à Charles qui répéta le même souhait. L’artiste qui, jusque-là était resté très silencieux, se racla légèrement la gorge puis, dans un français impeccable qui détonnait avec son accoutrement, nous remercia pour l’honneur qui lui était ainsi fait puis... "plusieurs groupes politiques sont déjà passés ici me solliciter pour divers candidats. Ils ont sûrement vu l’impact que mes oeuvres ont sur mon public. J’entends aussi beaucoup parler de votre candidat, Yayi Boni. Je n’ai rien contre sa personne. Mais par principe, je me suis interdit de participer à des enregistrements d’albums pour quelque candidat que ce soit. Ce qui reste cependant faisable, ce sont des prestations en live lors de vos meetings, avec interdiction d’enregistrer". Silence lourd dans la salle. Hervé reprit la parole et essaya quelques plaidoiries. Charles resta silencieux. Je pris la parole pour insister sur notre volonté d’avoir une composition à la gloire de notre candidat, signée par lui. Il ne rejeta pas l’idée, mais maintînt son refus de se faire enregistrer". Même si c’est à Parakou que vous m’invitez, je suis prêt à venir. Mais ce sera en live avec interdiction d’enregistrer" reprécisa-t-il.
Je ne sais plus trop bien comment la séance prit fin. Mais une chose est claire, elle fut un échec. J’avais le sentiment que l’artiste était dans une posture. Je commençai par penser à la solution alternative. Un ancien camarade de classe du lycée Houffon était très régulier à Mougnon et m’avait déjà passé une fois au téléphone l’artiste Somadjè Gbesso. On verra bien ce qu’on verra...
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 19

Le vibreur de mon téléphone m’arracha à mes réflexions. J’avais encore quelques doutes sur la pertinence de la proposition qu’un de mes anciens camarades du Lycée Houffon me fit, de remplacer au pieds levé Alekpehanhou par Somadjè Gbesso, le virtuose du rythme "alokpe". Il est vrai que son tube " monlikoun" avait fait un immense tabac pendant plusieurs années sur le plateau d’Abomey. N’empêche qu’il passait dans mon esprit pour être un pis-aller. C’était la seule alternative qui se présentait et il fallait faire avec. Mais ce qui me marqua déjà positivement chez cet artiste d’un naturel surprenant, c’est le ton du court échange téléphonique que j’eus avec lui lorsqu’on me le passa trois jours plus tôt depuis son village de Mougnon. Il était plutôt reconnaissant d’avoir été sollicité. Ce qui facilita les discussions que nous bouclâmes en moins d’un quart d’heure. De toutes les façons, me disais-je, on ne perd rien à essayer. En plus les délais très courts entre la prise de contact et l’enregistrement en studio ne semblait pas lui poser un problème particulier. Et il avait d’ailleurs trouvé une manière originale de conclure notre échange téléphonique en poussant la chansonnette. Il avait la bonne humeur contagieuse et cela ne me déplaisait pas.
Quand je decrochai le téléphone ce matin, je reconnu facilement sa voix. Lui et sa troupe, en route pour Cotonou, étaient déjà à l’entrée de Abomey-Calavi. Ils étaient un peu en avance sur l’heure du rendez-vous. Je le mis aussitôt en relation téléphonique avec Richmir Totah pour qu’il l’orientât vers le studio d’enregistrement dans un trou perdu de Vodjè. Mais malgré l’assurance que je lui donnais que son correspondant téléphonique réglerait toutes les commodités contractuelles avec lui, il insistait fermement pour me voir. " koï plézident..." s’agaça-t-il presque. Je finis par promettre de faire un tour au studio, pour ménager sa susceptibilité. Quand Richmir m’appela moins de deux heures plus tard, il ne tarissait pas d’éloges. " Tibo, Gbesso est bon, il est bon...il est bon. Formidable ! Formidable ! Passe à Vodjè. On vient de finir ". Surexcité, je déboulai en quelques minutes dans ce domicile quelconque de Vodjè où se trouvait le studio retenu pour les enregistrements. A mon arrivée, je ne fis presque pas attention à la petite foule bigarrée à l’entrée de la maison. C’était pourtant le groupe folklorique, auteur du chef-d’œuvre que je courais déguster. C’était une douzaine de jeunes garçons et de jeunes femmes dont je remarquai avec surprise qu’une était remontée à l’arrière de la Peugeot 404 " bâchée " branlante pour allaiter son bébé. Les autres étaient assis sur de vieux bancs probablement descendus de la camionnette. N’ayant pas remarqué au milieu d’eux l’artiste dont je connaissais la silhouette, même si je ne l’avais encore jamais rencontré physiquement ; je saluai vaguement l’attroupement puis fonçai à l’intérieur de la maison. Dans la cour, je reconnus Somadjè Gbesso en chaleureuse compagnie avec Richmir. Les accolades que j’échangeai avec l’artiste furent si enthousiastes qu’on eu dit de vieux amis. "Plézident", me dit-il, je ne pouvais pas venir jusqu’ici et repartir sans te voir, tout n’est pas question d’argent. Sa réflexion était si juste que j’en éprouvai une vraie gène. Je bredouillai quelque chose en le tapautant légèrement dans le dos. " Ton repas est déjà prêt, tu vas y goûter non ?" me dit-il, le sourire en coin et en clignant maladroitement de l’œil. Ensemble, nous montâmes dans la chambrette tenant lieu de studio d’enregistrement. Il n’y avait pas suffisamment de casques d’écoute. Nous nous amassâmes carrément derrière la console de mixages. Aux premières notes, un frisson me parcouru. C’était de l’or massif. Le texte qui mélangeait humour, gouaille et allusions était à la fois profond et accessible ; le tempo, emprunté à son titre à succès " Moulikoun" n’avait plus besoin d’étiquette. C’était clair, ce tub ferait un malheur à Abomey et environs pendant la campagne officielle. Je saluai le génie de l’artiste en secouant vigoureusement et longuement ses deux poignées. "Les chemins sont ouverts pour le candidat, mais n’oublie pas Glinvi Somadjè" , me glissa-t-il. Je promis le voir personnellement à Abomey avant le début de la campagne officielle.
Après tout, les vecteurs par lesquels on devrait présenter Yayi sur le plateau d’Abomey, méritaient tous les soins. Même si celui qui croyait le moins à l’acceptation d’un candidat du nord par les populations de cette partie du pays était Yayi lui-même. Du moins jusqu’à un certain mois de février 2005 où eu lieu sa première rentrée politique, quoique discrète, dans la cité historique que Paulin Dossa, mon frère aîné Albert et moi le crontraignîmes à faire. Son incompréhensible résistance à notre requête dura des mois sans que je ne puisse vraiment m’en expliquer les raisons. Nous parcourions le pays dans tous les sens, mais chaque fois que j’évoquais avec lui la nécessité toute naturelle pour lui d’aller à Abomey, il trouvait immanquablement une excuse, un prétexte. J’avais fini par me rendre compte que c’était plus le fait d’un complexe profondément enfoui en lui que d’un quelconque rejet. Yayi ne nourrissait pas un rejet vis a vis des fons. Il me semblait plutôt avoir un profond complexe d’infériorité chaque fois que l’un d’entre eux exécutait son numéro de prince devant lui. Un douloureux complexe qu’il soignera tout au long de son règne à coups de limogeages humiliants, d’héliportage de rois, de séjours répétés dans la cité royale. Il était d’ailleurs convaincu que son plus gros obstacle pour cette compétition politique majeure viendrait de cette région. Nous avions beau lui faire régulièrement le point sur l’accueil enthousiaste que rencontraient depuis des mois les calendriers à son effigie dans la ville d’Abomey, sa méfiance n’en était encore que plus grande. Un jour que le poussai dans son dernier retranchement, il finit par me donner une explication politique de sa circonspection qui, bien entendu, me parut très peu convainquante. Il me raconta dans les détails des propos, une séance qu’il eu avec Nicephore Soglo et qui tourna en un exercice de lavage de cerveau. Le vieux président lui conseilla en effet, sans que ce ne soit pourtant l’objet de leurs échanges, de passer son chemin chaque fois que quelqu’un essaiera de lui faire croire qu’il peut être président dans un pays comme le Bénin. D’ailleurs, aurait ajouté le patriarche manipulateur, on sort de la fonction présidentielle par deux portes possibles : la prison ou la morgue. Pourtant lui-même Nicephore Soglo était vivant et n’était pas en prison. Yayi qui n’était pas dupe sur cette grossière tentative de pression psychologique, en tira des conclusions inattendues. Si le président Soglo descendait à ce niveau d’exercice, c’était qu’il le voyait lui

Yayi, comme un danger à l’épanouissement des ambitions présidentielles de son fils Lehady. Et dès lors il lui fallait être doublement prudent dans ses opérations de charme à l’endroit de l’électorat fon que le président Soglo gardait comme un mari jaloux garde une épouse. Yayi craignait-il un crime passionnel ? Faire des escales régulières dans la ville cosmopolite de Bohicon lui paraissait nettement moins provocateur vis-à-vis de Soglo dont la théorie des deux portes de sortie qu’il disait tenir de feu Houphouët-Boigny, sonnait comme un ferme avertissement. Le directeur général du CBDIBA, Patrice Lovesse, un des plus anciens soutiens à sa candidature, servait quelques fois de couverture à ces escales très intéressées. Mais Abomey resta pour un trou noir, jusqu’à ce samedi matin où il nous me demanda de le rencontrer à Bohicon. Il revenait de Tchaourou et avait enfin décidé d’affronter sa peur. Il voulait aller à Abomey. L’énigmatique Abomey...!

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 20

L’étroite cour de la résidence du jeune pasteur titulaire de l’église évangélique des Assemblées de Dieu de Bohicon grouillait du petit monde des cadres chrétiens venus rencontrer le "frère Yayi de la Boad" pour une séance d’échanges et de prière autour d’un déjeuner. En ce samedi caniculaire de février 2004, la ville-carrefour craquait sous une chaleur de four. Le rendez-vous initialement prévu pour 13h n’avait pas encore démarré à 14h. Le pasteur sortait de temps en temps en courant, le téléphone vissé à l’oreille, cherchant dans la cour un endroit où le réseau GSM serait le plus clément possible. Son excitation jetait un froid dans l’assistance. Tout le monde essayait, à partir de ses réponses, de deviner les messages qu’il recevait de son interlocuteur qui, vu le contexte, ne pouvait être que l’invité de marque attendu et pour lequel le pasteur gérait un comité de soutien dans le milieu évangélique de la ville et alentours. Et puis c’était cela les réseaux GSM en ce temps-là. Rien n’était évident lorsque vous lanciez ou receviez un appel. De sorte que vous étiez obligé d’avoir votre point de contact GSM dans votre domicile. Et ce point pouvait parfois peut-être un endroit très improbable comme par exemple un cabinet de WC où ...la margelle d’un puits.
"Le frère est là", annonça triomphalement le pasteur, avant de poursuivre "Je cours les orienter à l’entrée de la rue". Ça devenait enfin intéressant. Mais ce qui nous intéressait, mon frère aîné et moi, et qui avait motivé notre déplacement de Cotonou ce jour-là, ce n’était pas ce déjeuner dont nous savions à peu près le déroulé et le contenu rôdé des prises de parole. Ce qui nous intéressait, c’est le programme d’après : Abomey. Nous avions enfin fini par obtenir que Yayi s’y rende. Et le motif pour qu’il le fasse en ce début d’année était tout trouvé. Il allait saluer et présenter ses voeux de nouvel an aux rois. Ce n’était pas très compliqué pour nous d’organiser tout ceci par téléphone. L’enthousiasme sur le terrain était surtout perceptible dans mon quartier où les calendriers imprimés par Tundé et Djossou trônaient dans chaque chambre. Et puis je savais, par l’intérêt très marqué qu’exprimait mon père pour la candidature de Yayi, qu’il était allé "prendre ça voir" (consulter l’oracle comme c’est la coutume dans cette région)...et que c’était positif. Je savais qu’il prenait rarement une initiative sans aller consulter. Le maître du Fâ chez qui ses pas le conduisaient chaque matin pour avoir les explications sur son songe ou le rêve de la nuit précédente en était devenu un de ses amis les plus proches. Mais la ligne de communication entre lui et moi s’était rompue sur ce genre de sujet depuis mon baptême évangélique en 1997. Il respectait ma nouvelle orientation spirituelle, même si je pouvais lire parfois en lui le désarroi de ne pouvoir partager avec moi certains messages préoccupants qu’il tenait du Fâ. Mais je comprenais bien dans l’approche qu’il avait de certaines de mes aventures, le résultat de sa consultation à ce sujet. Cependant, jusqu’à sa mort, nous n’avions plus jamais échangé directement sur ce type de lecture de l’avenir. Je ne savais pas faire semblant.
Quand Yayi fit son entrée dans le domicile et s’installa à la place qui lui était réservée en légère surélévation sur la véranda, il insista pour que je me mette à côté de lui. Ce qui ne me paraissait pas pratique, en raison des intempestifs coups de fil induits par les préparatifs de l’étape suivante, celle d’Abomey. Je finis néanmoins par obtempérer. Après tout, mon frère aîné était là et c’était lui le vrai métronome de l’organisation de l’entrée de Yayi dans la cité royale. Il était largement en avance sur moi dans les prises de contacts. "Nous irons très vite, parce qu’après ici, je dois me rendre à Abomey" déclara Yayi à mon immense soulagement. Nous pouvions enfin confirmer à nos relais sur le terrain sa venue. Ce que commença aussitôt à faire mon frère. Yayi demanda une présentation rapide des membres de l’assistance. La majorité était composée d’animateurs locaux d’ONG, d’enseignants, d’un ou deux cadres de l’administration publique. Je ne fis pas très attention au profil nettement plus ambigu de l’un de ces"cadres chrétiens". Il se présenta comme un expert en gestion de quelque chose que je n’ai pas vraiment bien retenu. J’ai su à la fin de la réunion dans la chaleur des accolades interpersonnelles qu’il manageait péniblement une école privée d’enseignement des sciences de la gestion, sur place, à Bohicon. Une école qui ne devrait pas avoir grand éclat, puisque je n’en avais jamais entendu parler que par lui-même. Finalement je compris que l’école avait pour nom "Le défi". Taciturne et réservé, il me déclina son identité : Martial Sounton...
Les nombreux dos d’âne à la hauteur de Djimè annoncèrent notre entrée dans Abomey. J’étais assis à côté de Yayi, sur la banquette arrière de sa Mercedes de président de la Boad. Il avait souvent emprunté la bretelle Bohicon-Abomey-Azovè pour descendre sur Lomé, mais c’était la première fois qu’il découvrait réellement la ville d’Abomey. Arrivés au rond-point de Goho, nous empruntâmes l’axe droit du triangle que formait la place Goho, puis roulâmes par une chaussée parsemée de crevasses jusqu’à l’actuel Lycée Jeanne-d’Arc, anciennement Lycée Mafory Bangoura. Là nous tournâmes dos au portail principal du lycée puis nous engageâmes péniblement sur la voie en terre à droite. La voiture était très basse et la descente sur la voie terre battue provoqua, malgré la dextérité légendaire du vieux chauffeur Tankpinou, un raclement si bruyant en bas de la carrosserie, que je sentis des brûlures au fond de mes tripes. Ensuite, sur 800 mètres, il fallut régulièrement freiner pour trouver la meilleure façon d’emprunter certains ravinements laissés par la dernière saison des pluies. Je connaissais de mémoire toutes les aspérités significatives de cette voie, parce que c’était elle qui menait chez moi, dans ma maison familiale, cet amas désordonné de bâtiments en terre rouge ferrugineux et aux toits en tôles corrodées par la rouille.

Je ne sus comment me l’expliquer, mais quand la Mercedes s’immobilisa devant le portail privé de mon père, une foule chaleureuse d’enfants, de femmes et d’hommes déferla de l’intérieur de la maison avec des chants d’accueil. Certains brandissaient des calendriers à l’effigie de Yayi, datant de l’année précédente. Je constatai alors une illumination indescriptible dans le visage de Yayi. Une illumination telle que je ne crois plus avoir jamais revue.
Le séjour de mon père qui avait été apprêté pour le recevoir fut pris d’assaut par une foule curieuse et émerveillée. "Oyégué ! gnan dié", entendait-on murmurer dans la foule. Ce qui, traduit en français, signifie " tiens...! tiens...!tiens ...! Voici l’homme ". Je voyais aussi, avec émerveillement, la surexcitation de mon père. Ce qui n’était pourtant pas dans sa nature. C’était un personnage extrêmement cérébral, très peu enthousiaste et surtout casanier. Il n’avait jamais été à l’école mais avait, à force de volonté et de détermination, atteint un niveau de lecture et d’expression en français surprenant. Pendant que j’étais au journal Le Progrès, j’étanchais sa soif de lecture en lui envoyant des lots de vieux numéros de toutes sortes de tabloïds qu’il lisait avec application. Et même parfois, j’étais surpris de l’entendre étayer brillamment un argumentaire politique par une information qu’il avait puisée dans un des journaux usés par le temps. Car le débat politique était à ce point sa passion, qu’il pouvait l’assouvir en allant rechercher un partenaire de débat à l’autre bout de la ville. Ce qui me donnait surtout envie de le voir et de l’écouter, c’était sa maîtrise de la langue fongbé qu’il utilisait de façon très imagée, capable des caricatures verbales les plus ingénieuses. Ses traits de caractère étaient si diamétralement opposés à ceux de ma mère que je m’étais souvent demandé comment les deux ont pu se retrouver ensemble.
Ma mère était en effet chaleureuse et exubérante de nature, se faisant par exemple tantôt belle-mère tantôt bru de la moitié du grand marché de Parakou, et oubliant rapidement les blessures de la veille. Personnellement, et pour autant que je puisse en être un juge pertinent, je crois tenir plus de mon père que de ma mère. Mais parler de soi, on le sait, n’est que poésie. C’est à vous de juger.
La séance fut très chaleureuse et mon père , en prenant la parole, fit une boutade, la même qu’avait déjà faite mon ami et complice des débuts de cette aventure, Serge Loko. Mais il préféra le dire en fongbé, bien qu’il eût pu le dire en français. Ce qui provoqua un immense éclat de rire chez Yayi. " Il n’y a plus à voir ni à gauche ni à droite. C’est le prochain président du Bénin qui se tient ainsi assis dans mon modeste salon" , avait-il dit, enflé de fierté.

Le soir tombait inexorablement et nous n’avions pas encore attaqué les gros morceaux de notre programme. Nous étions attendus au palais royal de Gbingnido chez le roi Agoli-Agbo et à Djimè chez le roi Houédogni Béhanzin. Sur la pression de mon frère aîné Albert, notre séance fut donc écourtée et nous nous ébranlâmes vers Gbingnido dans le sud de la cité.
Nous étions assis depuis une demi-heure dans cette salle d’audience royale où régnait un calme tout aussi royal. Notre délégation, composée d’une dizaine de personnes avait été disposée dans la salle d’audience par un des protocoles du roi, de sorte que Yayi se retrouve en face de sa majesté dès que celui-ci ferait son apparition. Une fois encore Yayi avait insisté pour que je sois à côté de lui. Deux femmes de la cour royale se tenaient assises sur des nattes déployées à même le sol, de part et d’autre du siège, les pieds impeccablement allongés. Au bout d’un moment, une jeune femme fit son entrée dans la salle avec sur la tête, une grande bassine qui fut posée sur une table basse directement devant nous. La bassine contenait toutes sortes de liqueurs rares. Une autre femme entra avec un grand plateau de verres à boire. Très poliment , nous fûmes invités à "mettre la bouche dans l’eau". Yayi ne savait trop quelle attitude tenir. "On ne refuse pas", lui murmurai-je. Il finit par concéder une petite sucrerie. Pendant ce temps, quelqu’un entra de nouveau dans la salle puis s’avança jusqu’au milieu avant de nous porter le message de bienvenue du roi qui devrait apparaître d’un moment à l’autre. Yayi se leva comme s’il était pris d’un besoin pressant, puis me fit discrètement signe de le rejoindre dans la cour. Ce que je fis aussitôt. Il fit également signe à son garde-du-corps qui devisait tranquillement avec le chauffeur, sous un arbre, dans la vaste cour impeccablement balayée. Ce garde-du-corps était également son cousin et l’homme le plus fidèle que lui ai connu à ce jour. Yayi avait une préoccupation. Il fallait immédiatement doubler ou tripler le geste qu’il prévoyait de faire à sa majesté. Rien que l’accueil et la prestance du dispositif protocolaire royale pulvérisait toute l’évaluation qu’il avait faite jusque-là de l’envergure de son hôte. Il retourna à sa voiture puis ressortit quelques instants après. Nous regagnâmes ensuite la salle. Presqu’aussitot après notre retour, un mouvement d’hommes et de femmes se fit sentir au loin, dans une des arrière- cours. Le mouvement se rapprocha de plus en plus. Et comme sur une planche de théâtre, le roi Dedjalagni Agoli-Agbo fit son entrée au milieu de ses reines, suivies de quelques princesses toutes torse nu, merveilleusement tatouées de craie blanche à la poitrine et sur les épaules. Sur un signe de main de Yayi, nous nous mîmes tous à quatre pattes en guise de prosternation. Le roi, une fois installé sur son siège royal, nous exhorta à rejoindre nos sièges. Ce que nous fîmes avec empressement. Mais Yayi refusa et insista pour garder sa posture de soumission, malgré les nombreuses relances du roi. Ce qui obligea deux ou trois d’entre nous à le rejoindre à nouveau dans cette position. Après la présentation des civilités, un de mes cousins prit la parole après moult prosternations, pour planter le décor. "Votre fils est venu saluer le palais ", ponctua-t-il. Le roi prit la parole et fit une blague qui nous fit tous éclater de rire. " Vous avez parlé, mais c’est ce que vous n’avez pas dit que j’ai le mieux compris ", dit-il. Puis il enchaîna : " Beaucoup viennent déjà saluer le palais ici, pour une raison que nous savons sans savoir. Mais celui dont j’ai vu l’étoile, c’est lui". Un tonnerre d’applaudissements remplit la salle. "Nous n’allons pas trop vous retenir", enchaîna-t-il, "Je sais que mon frère de Djimè vous attend aussi." On me fit discrètement signe que le chauffeur Tankpinou me demandait dehors. Je ressortis sans attendre. Il était face à une impasse. Il venait de constater que le carter du moteur de la Mercedes était fendu et avait laissé couler toute l’huile à moteur sous la voiture. Impossible d’essayer quoi que ce soit. Dans la précipitation nous récupérâmes une autre voiture d’un membre de notre délégation qui nous avait rejoint au palais. Il devrait s’agir, si ma mémoire est bonne, de monsieur Satchivi, pas le président de la Ccib, mais son frère...
A notre arrivée au palais de Djimè, nous trouvâmes. Sa Majesté le roi Houédogni Béhanzin et toute sa cour impeccablement parés et disposés devant la grande porte d’entrée du palais. Notre arrivée suscita un remarquable mouvement de foule. Une fois le calme revenu, un autre membre de notre délégation, planta le décor dans les mêmes termes. Le dispositif protocolaire royal étant moins structuré et moins organisé qu’à Gbingnido, nous n’eûmes pas besoin de faire les prosternations usuelles, le roi étant déjà assis avant notre arrivée. Ça tombait d’ailleurs bien. Le sol était nu et poussiéreux, et Yayi avait beau être spécialiste des signes extérieurs d’humilité, il fut sans doute heureux d’avoir ainsi pu sauver son boubou blanc du massacre ce soir-là. Le discours du roi ici fut aérien et plus axé sur la propre personne de Sa Majesté qui nous mit dans la "confidence" de ses relations privilégiées avec le Général Mathieu Kérékou dont il dit avoir l’écoute, ainsi que le président Gnassingbé Eyadéma dont il recevrait régulièrement les émissaires dans son palais. Exactement, le genre de discours qui met Yayi sur ses gardes. Le roi fit heureusement preuve cependant de quelques traits d’humour qui dégourdirent l’ambiance.
La nuit était déjà tombée lorsque nous reprîmes la route de Cotonou. Longtemps sur le chemin du retour, cette exultation du garde-de-corps de Yayi dans la cour du palais royal de Gbingnido me trottina dans l’esprit. "Allah ! tu es grand", s’était-il écrié, les deux bras levés au ciel. "Abomey nous a acceptés et plus rien ne peut plus nous bloquer..." Abomey était tombée.

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 21

Mes relations avec Chantal de Souza, épouse Yayi, future première dame du Bénin, furent de tous les temps glaciales sans que je ne puisse jamais m’en donner une explication rationnelle. Si mes souvenirs sont bons, mon premier contact avec elle eut lieu à Lomé. Cela remonte à 2002. Yayi dont je venais fraîchement de faire la connaissance, m’avait invité au nombre des journalistes devant couvrir un symposium que la Boad, l’institution qu’il présidait alors, organisait sur l’avenir du coton ouest africain. Je garde de cette activité, le souvenir de cet auditorium de l’hôtel du 02 février, rempli d’économistes, de financiers et autres théoriciens de la filière coton, le visage généralement barré de lunettes claires et dont le point commun était qu’ils ne parlaient jamais fort au cours de leurs différents exposés. Ils parlaient certes dans de fines tiges de microphones enfoncées devant eux sur la table, mais bon sang...! Que voulaient-ils que nous, journalistes-reporters, retenions finalement de ces grommellements incessants autour de ces tableaux et de ces graphiques multicolores ? Et puis il y avaient ces maliens et sénégalais qui ne s’embarrassaient pas de scrupules, malgré leur respectable niveau académique, pour prononcer tous les mots au masculin.
La pause-café qui intervint avec beaucoup de retard sur le planning initial, fut un grand moment de soulagement pour moi. J’eus un contact très furtif avec Yayi qui m’invita alors à dîner le lendemain soir, c’est-à-dire à dire à la fin des assises, à son domicile. A la pause déjeuner, je l’aperçus, déambulant au milieu de la grande salle où plusieurs buffets était dressés, son plat en main. Il s’était débarrassé du haut de sa veste et ne portait plus que cette superbe chemise blanche à manches longues que je crus reconnaitre plus tard sur une des photos de campagne en 2006. La même photo qui fit plus tard la couverture du livre "Yayi Boni : l’intrus qui connaissait la maison", le best-seller de Édouard Loko, même s’il se pût agit d’un autre exemplaire de la même chemise. Je l’abordai dans le grand mouvement désordonné des vas et vient dans le hall. Il fit aussitôt preuve d’un enthousiasme qui me surprit et me déstabilisa. " Alors, tu suis un peu ?", me demanda-t-il en enroulant son bras libre autour de mes épaules. Ma réponse terne et hésitante lui inspira aussitôt un long développement macro-économique sur l’impératif que représentait pour les pays producteurs du coton dans l’espace UEMOA, la transformation sur place d’une partie de leur production. Je me calais tantôt sur une jambe, tantôt sur une autre, avec le souhait ardent que ce cours magistral inattendu prît fin et que je puisse enfin calmer mon estomac brûlant. Il finit sans doute par remarquer mon air absent et m’entraîna vers un buffet en me réitérant son invitation à dîner le lendemain soir. Je savais ce qu’il attendait de cette séance et me sentais les armes pour lui tenir la dragée haute. La politique serait sans nul doute au menu.

Quand l’interphone de ma chambre d’hôtel sonna le lendemain soir, il était vingt heures environ. Le symposium avait pris fin en début d’après-midi après le déjeuner. Et j’eusse repris aussitôt la route comme tous les journalistes, si je n’avais pas ce rendez-vous à honorer. Aussi avais-je passé tout le reste de l’après-midi à suivre paresseusement des documentaires d’histoire sur le bouquet télévisuel disponible dans l’hôtel. C’était mon passe- temps favori après la lecture et je pouvais y passer une journée entière sans mettre le nez dehors.
A l’autre bout du fil, l’accueil de l’hôtel qui martyrisa mon prénom en déplaçant le "R" m’annonca un émissaire du président de la Boad. Je sautai sur mes deux pieds, pris mes clics et clacs puis descendis dans le grand hall d’accueil baigné d’une agréable lumière tamisée qui inspirait calme et sérénité. Dès que l’émissaire se fut présenté à moi, je le suivis en silence jusqu’au parking de l’hôtel où nous nous engouffrâmes dans une petite voiture de marque française que je prendrais à peine au sérieux aujourd’hui, mais dont le confort intérieur me fit le plus grand effet à l’époque. Nous roulâmes lentement dans la nuit loméenne, tournant un nombre incalculable de fois, tantôt dans une rue à gauche, tantôt dans une rue à droite, avant de nous engager dans une rue sans issue qui donnait sur un grand portail métallique. Le quartier était silencieux et paraissait bourgeois. Aux jeux de phares du chauffeur, un agent de sécurité ouvrit lourdement le portail et nous roulâmes une dizaine de mètres dans la maison sous les aboiements dénonciateurs d’un rude chien de berger allemand. Le chauffeur me confia à un domestique de la maison que je suivis dans le séjour. C’était un espace de vie vaste, avec de larges baies vitrées que dissimulaient de lourds rideaux aux longs plis pensants. J’avancai mécaniquement derrière le domestique jusqu’aux grands fauteuils en cuir de buffle. La maîtresse de maison était là, étendue dans le divan, face à un vaste écran de téléviseur dont le volume était si bas qu’on eu dit qu’il était muet. Le domestique me murmura quelque chose du genre " allez saluer maman", puis il emprunta les escaliers avec mon sac. Je m’approchai puis lui lancai un "bonsoir maman". J’eus comme toute réponse quelque chose qui me parut un léger raclement de gorge sans qu’elle ne tourne le regard vers moi. Debout, je ne sus trop quoi faire. Le domestique, heureusement, revint mettre fin à mon embarras en m’invita à m’asseoir. Je m’executai avec précaution comme si j’évitais désormais d’attirer l’attention de " maman ". Je restai là, assis face à ces images de télé, perplexe, dans cette ambiance qui me parut durer une éternité. Le domestique revint mettre fin à mon supplice en m’invita à table pour le déjeuner. " Papa a téléphoné, me dit-il à voix presque basse, il va tarder avant de rentrer. Il a dit de manger et de monter dormir si vous êtes fatigué et qu’il vous verra au petit déjeuner demain matin ". Tout ceci dit dans ce style de chuchotement renforça mon malaise.
J’appréciai ce dîner simple et agréable, fait avec soin par un cuisinier qui, apparemment s’y connaissait bien. Cette pâte de mil accompagnée de sauce tomate coupée aux gombos fut finalement la seule chose agréable qui m’arrivait dans cette villa cossue depuis que j’y avait mis les pieds. Et pendant que j’étais encore à table, la maitresse de maison se leva et disparu dans un couloir en recommandant au domestique d’éteindre la télé et les lumières avant d’aller dormir. Bon, me dis-je, qu’à cela ne tienne, mon rendez-vous avec le maître des lieux était pour demain matin et c’est le plus important. Peut-être pourrai-je voir à cette occasion, sous un nouveau jour, cette femme qui ne me connaissait pas mais qui, déjà, me paraissait si étrange et si singulière. Et puis, sait-on jamais, demain réserve peut-être son lot de nouvelles surprises...
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 22

Pour dire vrai, mon sommeil fut léger et bien court cette nuit là. La chambre que j’occupais était plutôt propre et correcte, mais j’eus préféré être à ce moment là dans ma deux pièces que je louais dans la banlieue de Godomey-Togoudo. Je préférais encore de loin cette odeur d’essence et d’huile à moteur brûlée qui envahissait mon petit salon chaque fois que j’y faisais rentrer ma moto Mate 50 que j’avais acquis après avoir revendu la mobylette BB-CT poussive qui m’en faisait voir de toutes les couleurs. Ah oui ! Cette mobylette était le produit de mon premier secours universitaire obtenu pendant que j’étais en deuxième année de Faculté au Département de Géographie. J’avais pu l’acquérir qu’en deux étapes. Je l’avais achetée sans les deux roues et sans le siège conducteur chez un vieux instituteur à Fifadji qui tenait apparemment à déshériter tous ses enfants. Il n’y avait qu’à voir la taille des épais verres optiques qu’il réajusta plusieurs fois avant d’apposer sa signature sur le document de vente. Je dû patienter jusqu’à l’année académique suivante pour être en mesure de compléter les morceaux manquants du puzzle roulant qu’était cette mobylette. Mais ce soir, je préférais toutes ces misères simples à cette ambiance surprenante que je découvrais dans une demeure pourtant si belle et si puissante. J’essayai pourtant de comprendre le comportement si étrange de la maîtresse de maison à mon égard. Je savais que Yayi était "nagot" et cela pouvait parfois tourner au calvaire pour une femme du Bénin méridional de trouver son espace vital auprès d’un époux issu d’une aire culturelle où tout le monde était papa de tout le monde, maman de tout le monde, frère de tout le monde, même si la réalité pouvait être moins gaie qu’elle ne le paraissait. Mais aucune des explications que j’échaffaudais ne tenait la route. Ça ne lui coûtait rien de faire preuve de courtoisie à mon égard, à défaut d’être sympathique ou chaleureuse. Le sommeil tardait à venir et l’aboiement lourd du chien de la maison, repris en écho par d’autres chiens du voisinage n’arrangeait pas les choses.
J’entendis taper doucement sur la porte de la chambre. La lueur du jour éclairait déjà la chambre à travers la fenêtre en baie vitrée. Quand j’ouvris la porte, le domestique m’informa que le petit déjeuner était prêt et que le maître de maison allait s’installer d’un moment à l’autre. Je me mis rapidement à jour puis rejoignis le vaste séjour. J’y retrouvai le domestique que je suivis jusqu’à une petite terrasse dehors, dans la cour intérieure où trônait une belle piscine. Je fus fort soulagé de rejoindre cette terrasse sans croiser Chantal de Souza. Je savais qu’elle en rajouterait à ma frustration de la veille quand elle opposerait un nouveau mutisme dédaigneux à mon "bonjour maman". Mais tout de même ! Quelle idée d’adopter pareille attitude vis-à-vis de quelqu’un qui vous sert du "maman" alors que vous n’auriez pu être tout au plus qu’une soeur aînée à lui ? En m’installant autour de cette petite table, je pensai vaguement à ma mère dont l’enthousiasme débordant eût rempli cette maison de vie et d’activités. Yayi apparut, l’air pressée et surtout très chaleureux. Il me fit l’accolade en demandant si j’avais passé une excellente nuit. Une question qui n’en est vraiment pas une puisqu’on y répond toujours par l’affirmatif. Il appela bruyamment une autre domestique par son prénom et ordonna le service.
Pendant qu’il dévorait les fruits qui constituaient l’essentiel de son petit déjeuner, il reprit à ma grande surprise son cours magistral improvisé de la veille, exactement là où il l’avait laissé. Le personnage commençait vraiment par m’intriguer. C’était donc vraiment de transformation de coton qu’il voulait discuter avec moi ?, me demandai-je intérieurement. Je suivais son développement du mieux que je pouvais en buvant silencieusement le lait chaud que je m’étais fais servir. "Dommage qu’il n’y ait pas un bon journal spécialisé dans le traitement des informations économiques à Cotonou", finit-il par regretter en faisant enfin une habile transition vers le sujet qui, j’en étais convaincu, était son unique vraie motivation. "Ah la presse ! enchaîna a-t-il avec un petit éclat de rire, vous êtes tous très brillants en politique". Je ne l’aidai pas outre mesure à atterrir sur sa préoccupation. Je l’y attendais silencieusement. Mais il repartit de façon inattendue dans une autre direction en s’éternisant dans les généralités. Son institution, dit-il, avait plusieurs fois réfléchi à la formule pour encourager et soutenir des modules de formation des hommes de médias sur les grands enjeux économiques de la sous région UEMOA. Mais l’initiative rencontrait peu d’intérêt durable de la part des hommes des médias. "Mais je crois que je relancerai la réflexion sur le sujet avec Traoré, mon assistant en communication", promit-il. Le petit déjeuner était fini. Yayi consulta rapidement sa montre bracelet et soupira, "Ah déjà ? Bon nous allons y aller très rapidement. Il se leva et je le suivis jusqu’à sa Mercedes en retraversant le séjour. Toujours pas encore de trace de Chantal. Elle fait peut-être une grasse matinée, pensai-je. Il en était généralement ainsi des demeures cossues. Plus elle sont grandes, moins elles grouillent de vie et de bonheur. Et puis de quoi je me mêlais ? J’étais sans doute venu à un mauvais moment.
Un jeune policier togolais fit un salut impeccable, puis ouvrit de la main gauche , la portière de la grosse voiture noire. Je contournai puis entrai par la seconde portière. L’intérieur était propre et sentait bon. Je dû dégager un coussin qui encombrait le siège. Yayi s’en saisit et le cala dans son dos. " C’est pour mon dos ", me confia-t-il. Le jeune policier prit place à côté du chauffeur qui démarra lentement, si lentement que cela me parut d’abord imperceptible. Bientôt, nous retrouvâmes les rues et artères de Lomé. La voiture roulait agréablement bien. Si bien qu’on eu cru qu’elle flottait sur un tapis d’air. L’air matinal de Lomé, fouettait la petite cocarde estampillée " Uemoa-Boad " qui était l’avant de l’aile droite de la voiture. De temps à autre, un policier chargé de réguler la circulation nous faisait un salut correct. Yayi ouvrit un petit coffret sur le plafond de la voiture puis sortit un petit peigne et se mit à se peigner méticuleusement en s’aidant de l’effet miroir de la face interne du coffret. Il sifflota doucement par intermittence un cantique que je reconnaissais bien. Mais dans cette voiture dont je foulais l’intérieur pour la première fois, nous n’échangeâmes pas. Et si Yayi, que je commençais par découvrir, très méfiant et calculateur n’a pas parlé politique pendant que nous n’étions que deux tout à l’heure, ce n’était pas devant ce jeune policier togolais qu’il le ferait. Les oreilles du timonier Eyadema n’étaient jamais loin, disait-on. La voiture s’engagea enfin dans la cour du siège à l’architecture très reconnaissable de la Boad. Le chauffeur roula lentement jusqu’aux pieds de l’escalier desservant l’entrée principale du bâtiment central. Le jeune policier se précipita dehors puis ouvrit la portière à l’arrière de lui. Yayi sortit en tirant discrètement sur le bas de son costume dont il semblait vouloir ainsi redresser les plis indésirables causés par le coussin qui soutint durant tout le trajet sa colonne vertébrale. Je me précipitai aussi dehors puis m’engageai dans son sillage jusque dans le grand hall. Branle-bas au sein d’un groupe de fonctionnaires qui attendait patiemment l’ascenseur. Un vide de pénicilline se fit autour de nous. La cage d’ascenseur s’ouvrit dans un léger bruit de souris. Je m’y introduisis à la suite de Yayi. Il encouragea les autres fonctionnaires à nous y rejoindre. Mais tous se défilèrent poliment. Un étage plus loin, la portière de l’ascenseur s’ouvrit, un fonctionnaire s’y introduisit, tête basse, mais se précipita aussitôt dehors en bredouillant des excuses, lorsqu’en levant la tête, il découvrit qui devrait être son compagnon d’ascension. Je réprimai un éclat de rire.
Je repartis du bureau de Yayi avec un lot d’étrennes dont je ne savais trop quoi faire. Mais en définitive je n’avais surtout jamais compris le motif du dîner, ni la raison de ce détour par son bureau. Sur le chemin de Cotonou, je déroulai plusieurs fois dans ma tête la scène de cette première rencontre avec Chantal de Souza. Cette femme, me disais-je, devait avoir un problème. Problème que je decouvrirai progressivement au fil des jours, des semaines, des mois et des années suivantes.

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 23

Si Yayi devait continuer à me voir régulièrement comme il semblait en exprimer le besoin, le clash serait alors inévitable entre Chantal et moi. J’avais beau cherché à comprendre qu’elle adoptait la même attitude vis-à-vis de tout le monde, je ne réussissais pas à classer par simples pertes et profits mes nombreuses salutations qui restaient sans réponse. D’ailleurs mes " bonjour maman " s’étaient progressivement mués en furtifs " bonjour madame ". La vérité, pensai-je, c’est que Chantal n’aimait personne, du moins aucun de nous qui venions parler de " 2006" avec son époux. Pour elle, nous n’étions que d’impitoyables escrocs, vendeurs de chimères sans scrupule qui venions faire les poches à Yayi. Sa conviction était établie, son époux n’avait aucune chance de prospérer en politique, encore moins d’être Président de la République. En deux ou trois occasions, elle le déclara devant des visiteurs en exprimant son ras-le-bol face aux sangsues impénitentes que nous étions. Pourtant, ses soeurs que j’eus plusieurs occasions de rencontrer à Cadjehoun me paraissaient très intéressantes et très spontanées. C’est vrai que le syndicaliste José de Souza avait toujours montré de la froideur face aux ambitions présidentielles de Yayi. Marcel ou "Masso" pour ses intimes, était plus naturel et semblait prendre toute cette affaire de "2006" avec beaucoup de hauteur. Guy Adjanonhoun, le beau frère de Chantal ne voyait pas trop comment Yayi pouvait leur refaire le coup de devenir président de la République après leur avoir déjà soufflé le poste de président de la Boad pour lequel il était pourtant loin d’être le favori. En somme, tout ce petit monde avait des attitudes normales. Tous, sauf Chantal.
Le clash entre elle et moi était donc inévitable. Et le premier à le savoir était Yayi. Son embarras était visible. Un jour, il décida de faire les clarifications et de remettre les pendules à l’heure.
C’était, je crois, un lundi matin. Yayi, avant de reprendre la route de Lomé, voulait prendre le petit déjeuner avec moi. Je dus affronter une pluie diluvienne pour me retrouver à l’heure pile à Cadjehoun, dans cette rue alors défoncée et gorgée d’eau.
Ibrahim, le jeune Sénégalais qui faisait office de gardien, m’introduisit sans protocole. Dans le séjour, je me retrouvai nez à nez avec Chantal. Elle y était seule, assise dans un fauteuil, face à la porte d’entrée principale. Par réflexe, je lui fis mes civilités puis me dirigeai vers un fauteuil. Je savais, de toutes les façons, qu’elle ne m’aurait pas invité à prendre un siège. Yayi n’était pas encore descendu et une fois encore, je me retrouvais face à face avec son épouse. Mais cette fois-ci, mon calvaire fut de courte durée puisqu’elle se leva presqu’aussitôt et me laissa le salon, moi un de ces escrocs qui venaient vendre des illusions à son mari. Dans la minuscule salle à manger en face de moi et à laquelle on accédait par une dénivellation d’une marche en profondeur, le cuisinier finissait de disposer la table pour le petit déjeuner. J’entendis bientôt la voix désormais familière de Yayi qui m’invitait à prendre place autour de la table. Je descendis vers la table, saluai le maître de maison, tirai une chaise et me retrouvai assis en face de... Chantal. La situation me paraissait très cocasse, car nous allions devoir nous passer la carafe de lait, le boitier de sucre et que savais-je encore.
Mon rythme alimentaire était aux antipodes de toutes les recommandations diététiques que je lisais dans les magazines. Je ne savais pas prendre le petit-déjeuner. Mes rendez-vous culinaires étaient le déjeuner et le dîner que je pouvais prendre tard. Et entre ces deux grands repas, je ne grignotais pas. Je reproduisais d’instinct ce que j’avais vu faire mon père et je ne m’en portais pas plus mal. Aussi, des rendez-vous comme le petit-déjeuner de ce matin-là me demandaient plus de sacrifice qu’ils ne me procuraient réellement du plaisir. Le petit-déjeuner commença dans un silence pesant que brisait régulièrement le cliquetis des cuillères et des fourchettes sur la faïence. Puis Yayi : " Tiburce tu as dit bonjour à Chantal ? ". Un peu surpris par la question, je répondis platement " oui je l’ai fait ". J’entendis alors un grognement indistinct devant moi. La maîtresse de maison, me semble-t-il, protestait contre ma réponse. Sa mauvaise humeur allait crescendo. Je ne saisissais pas de quoi elle se plaignait. Mais elle se plaignait de moi, de tout le monde, elle se plaignait de choses générales en insistant sur le prénom de son mari, ce qui choquait mes tympans. C’est comme si par exemple j’entendais ma mère appeler mon père par son prénom " Philippe ". Je l’avais si rarement entendu que chaque fois que j’avais un ami qui s’appelait Philippe, j’éprouvais toujours un malaise à l’appeler par son prénom. Éducation rude et excessive, direz-vous ? Mais c’était ainsi que j’avais été formaté par cet austère conducteur de véhicules administratifs qui avait fait de la lanière en peau de boeuf, le premier décoratif mural de notre modeste domicile parakois. Eh bien ! Voilà donc qu’on se plaignait de moi à présent. De quoi ? Je ne le savais pas avec précision. Toujours était-il que je demeurais impassible parce que j’avais la nette impression d’entendre se plaindre une fillette. Puis quand elle finit par se taire, Yayi prit la parole et d’une voix basse et grave : " Écoute-moi Chantal. Que ça soit assez clair pour tout le monde. Je suis un croyant et j’ai ma lecture spirituelle des choses. Dieu n’a pas envoyé Tiburce sur mon chemin par hasard. Avec mon Dieu il n’y a pas de hasard. Si tu repousses et disperses ceux que Dieu lui-même m’envoie, alors tu me compliqueras la tâche... " .Puis il poursuivit son développement en essayant d’être persuasif au maximum. Je n’étais pas heureux d’être le sujet de ce tiraillement qui sortait du rationnel. C’est vrai que depuis notre première rencontre, ma relation avec Yayi avait évolué vers l’amitié et la confidence. Je savais qu’il était un homme seul. Un homme qui savait investir l’énergie que libérait en lui certains échecs de la vie, pour d’autres types de conquêtes sur lesquels il devenait alors imbattable. Je savais que ses enfants lui tenaient à coeur, et même s’il évitait d’exprimer publiquement cet épanchement affectif, il ne demeurait pas moins réactif à toutes les nouvelles lui parvenant à leur sujet. Nasser, l’aîné était aux États-Unis. Pareil pour Sollange qui vivait à New-York où elle venait de se marier avec un jeune ivoirien. Rachelle qui s’était révélée particulièrement douée dans les études, se cherchait au Canada. Georges, le petit dernier de cette première fratrie, plus connu aujourd’hui dans l’espace public par son prénom générique de Chabi, était revenu du Sénégal avec sa mère, et devait être, si ma mémoire ne me trompe, en classe de cinquième au lycée français Montaigne de Cotonou. C’était un garçon que je trouvai très poli et au contact assez facile et agréable. A certaines occasions de discussions que j’avais eues avec lui, il me donnait des signes de précocité dans sa façon de réfléchir et de percevoir les choses de la vie. Le suivi régulier de ses performances académiques était une préoccupation fondamentale pour son père que je retrouvai dans un état de fierté et d’excitation presque juvénile un jour où il prenait connaissance, par téléphone, de ses résultats académiques. Et puis il y avait Jean-Marc, l’unique que lui fit Chantal. C’était la copie conforme de son père dont il avait pris jusqu’aux détails les traits du visage. Nonobstant la protection à outrance dont il faisait l’objet de la part de sa mère, Jean-Marc exprimait déjà le caractère de son père. Il aimait le contact et l’amitié. C’était là l’univers immédiat de Yayi, le cocon dans lequel il essayait de trouver son équilibre émotionnel. C’était là le Yayi invisible.
Je ne sais plus trop comment prit fin ce petit déjeuner dont je compris finalement que le seul objectif pour Yayi, était de remettre les pendules à l’heure. Qu’à cela ne tienne ! Je ne demandais qu’à avoir une relation normale avec Chantal car je savais, telle que se présentait la structuration embryonnaire de l’entourage de Yayi, qu’elle serait amenée à me voir plus souvent qu’à son tour. Et la première grande leçon d’humilité à mon égard ne tarda d’ailleurs pas à lui être servie par les faits. Les acteurs : Jean Djossou, le patron de "Nouvelles Presses", Macaire Johnson, Chantal Yayi et moi. Un lieu : Ouidah...
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 24

Jean Djossou était un personnage au caractère bien trempé. Il a fait fortune dans l’imprimerie et beaucoup d’employés qui ont eu maille à partir avec lui en ont gardé quelques souvenirs physiques plutôt dissuasifs. Il n’hésitait souvent pas, au besoin, à régler ses contentieux à la dure, à l’ancienne, comme un garçon, à coup de poings. Son entrée dans le yayisme contrebalança profondément l’influence de Tunde dans le monde de l’imprimerie. Quand il fut démarché pourtant la première fois par un groupe de jeunes activistes de la zone de Akpakpa, conduit par Macaire Johnson, il les refoula sèchement, subodorant un coup tordu des services du Colonel Hounsou-Guèdè dans le but de faire bloquer ses règlements de factures déjà en souffrance au trésor. Il reçu plus tard la visite du pasteur Michel Alokpo dont le discours lui parut suffisamment persuasif pour le décider à organiser à son domicile un grand "dîner de prière" rassemblant tous ceux qui comptaient dans les milieux de l’Ueeb. Yayi n’était-il pas avant tout, membre de cette église ? Le discours qu’il prononça ce soir-là et qu’il avait déjà rôdé dans beaucoup d’autres milieux, fit mouche. "Si vous me dites d’y aller, j’irai. Si vous me dites de laisser, je laisse. C’est vous ma vraie famille". Ce n’était pas loin de la démagogie, mais tout le monde s’en félicita. Ces fausses humilités qui ont meublé tout le discours politique de Yayi ont joué un rôle majeur dans l’adhésion des grands électeurs et du bas peuple. Les populations sont peu enclines en effet, à élire celui qui leur paraissait le plus apte à diriger le pays, elles sont plus sensibles aux postures d’humilité et de vulnérabilité. Et il en sera encore ainsi pendant très longtemps.
Djossou n’était pas venu au Yayisme pour jouer les figurants. Il en donna d’ailleurs le ton par un zèle qui déstabilisa durablement certaines structures qui se voulaient faîtières des mouvements de jeunes yayistes. Et la première qui en fit les frais, fut l’Inter-Mouvements pour le Changement, IMC-YANAYI que présidait Benoît Degla et qui bénéficia d’une villa Arconville généreusement mise à disposition par un Colonel des douanes, en l’occurrence Chabi Faustin qui fit plusieurs crises de dépression plus tard quand Yayi le rangea au palais dans le placard des oubliés, promouvant James Sagbo et consorts. Entre deux réunions houleuses de IMC-YANAYI qui vivait déjà des intrigues de jeunes activistes comme Naimi Souleymane, Sylvestre Adongnibo, Prosper Gnanvo, Mesmin Glèlè, Aimé Sodjinou, Mickaël Saïzonou et j’en oublie, le directoire de IMC-YANAYI se retrouvait souvent dans le bureau de Benoît Degla à la société de transit et de consignation "Al Woudjoud" à Zongo pour échafauder à l’infini des stratégies d’occupation du terrain et surtout les meilleures répliques à l’UFPR de Edgard Soukpon que Yayi eu l’idée de mettre en compétition avec nous. En plus, ce Benoît Degla n’avait pas son pareil dans la connaissance des maquis de Cotonou et environs. C’est pour dire qu’il savait joindre l’utile à l’agréable. Et cela légitimait davantage son poste de président. Le leadership politique ici, c’est surtout et avant tout cela. Pleurez si le coeur vous en dit, ça n’y changera rien. IMC-YANAYI entra donc très rapidement dans le viseur de Djossou qui, à défaut de l’inféoder, décida de l’affaiblir en lançant un mouvement concurrent : le FRAP. Ce mouvement politique devenu plus tard parti politique, n’avait donc au départ strictement rien à voir ni avec Chantal, ni avec Marcel de Souza. Mais Djossou avait un flair presqu’infaillible et son premier chef d’œuvre de pirouette politique était d’avoir réussi à être originaire de Porto novo en 2001 quand, croyant Adrien Houngbedji favori, il fit tourner ses machines à plein régime pour lui, et de se retrouver ensuite originaire de Savè avec des références bien appuyées sur Tchaourou maintenant qu’il croit Yayi gagnant.
Il avait beau avoir son tempérament irascible, j’appréciais Jean Djossou et il me le rendait bien. Le déjeuner quotidien qu’il institua à son domicile devint rapidement le point d’attraction d’un noyau de yayistes auquel s’ajoutaient régulièrement des visages examinés et jugés dignes de prendre place à la table du Seigneur. Les discussions politiques qui suivaient ces déjeuners généralement de bonne facture, pouvaient parfois durer toute l’après-midi. A moins que , comme ce jour-là, Djossou ait un programme qui lui tienne à coeur. Il avait de l’entregent et voulait que je le sache. Il voulait que je l’accompagnasse à l’État-Major général des forces armées béninoises au camp Guezo. Le Général Mathieu Boni, m’avait-il dit, était son frère et il tenait à discuter avec lui du projet politique dans lequel il était désormais si résolument engagé. Je sautai donc dans sa voiture "Camry" et une quinzaine de minutes plus tard, nous étions dans la cour de l’état-major. J’attendis en bas, dans la voiture et Djossou monta dans le bloc administratif. Quand il réapparut une demi- heure plus tard, il était nettement moins enthousiaste. J’étais pressé de savoir ce qui avait pu le refroidir à ce point. Il finit par rompre le suspens en m’informant qu’il avait été à deux doigts de se faire éconduire par son "frère", le Général Mathieu Boni lorsqu’il aborda les perspectives politiques de 2006 en évoquant le nom de YAYI. Le Général, qui portait fraichement ses deux étoiles, fit mieux en lui enjoignant de se mettre en retrait de cette affaire qui ne lui inspirait rien de sérieux. J’en fus aussi fort ému. Mais Djossou qui était une machine à idées, passa rapidement l’éponge sur cette mauvaise passe dès notre retour à son domicile. Il avait une idée dont il voulait que nous discutions à trois, lui, le pasteur Michel Alokpo et moi. Je n’étais certes pas membre du FRAP, mais je pouvais, à cette étape de sa création, être associé à toutes les discussions y afférentes. Djossou passa un coup de fil à Michel Alokpo qui ne tarda pas à se présenter au volant de sa minuscule voiture Peugeot 206 de couleur rouge. Djossou nous fit rapidement part de son idée en machouillant de temps en temps avec nervosité sa lèvre inférieure avec ses dents supérieures. Il voulait faire parrainer le FRAP par Chantal de Souza. L’idée me parue si saugrenue que je j’éclatai bêtement de rire. Ah oui, l’avenir me montra effectivement que j’avais ris bêtement. Mais j’avais une connaissance de Chantal que ni Djossou ni Alokpo n’avait. Et je ne voyais par quel miracle elle aurait été en mesure de parrainer le FRAP si déjà elle-même ne croyait pas au destin présidentiel de son mari. Alokpo évaluait silencieusement la proposition. Je le savais d’une intelligence très vive, capable de flairer à distance les opportunités. " Non Tiburce. Ne ris pas comme ça. Non c’est pas bon", me dit Djossou passablement agacé mais ne se laissait pas déstabiliser. Puis il enchaîna : "n’oublie pas que si son mari devient président, c’est elle qui sera Première dame du Bénin hein. Tiburce, il faut qu’on la récupère ". Alokpo hocha doucement la tête en signe d’approbation. " je ne suis pas contre votre proposition, DG" répondis-je, "mais dans ce cas il y a du travail, car je doute qu’elle en soit intéressée". Le pasteur Alokpo qui s’était déjà aussi frotté aux aspérités de Chantal, soutint ma réserve, puis émit une proposition lumineuse : " il faut qu’on fasse une descente sur le terrain avec elle. Si ça se passe bien elle prendra goût ".
Ça tombait bien. Macaire Johnson, Albert mon frère aîné et moi avions un programme de descente sur Ouidah. Yayi nous y envoyait prendre langue avec un mouvement de jeunes dont il avait reçu plusieurs fois l’invitation à son bureau à Lomé. Djossou qui était un homme spontané, saisit aussitôt l’idée au vol et proposa qu’on y associât Chantal. " Pas de problème si vous réussissez à la décider, DG", avais-je conclu sur un ton de défi.
J’eu bien tort. Moins d’une semaine plus tard, une délégation composée de Chantal de Souza, Albert Adagbè, Jean Djossou, Michel Alokpo et moi, s’ébranlait en direction de Ouidah à bord de deux voitures. Chantal, Michel Alokpo et moi étions dans la première voiture, une Mercedes ML flambant neuve que venait d’acheter Jean Djossou et dont lui- même avait pris le volant. Albert et Macaire suivaient derrière, dans une "Carina 3". Comme dans un rituel du vodou Tôhossou, nous reconduisions Chantal de Souza à sa source. Nous allions la doter politiquement. Les rideaux se levaient sur une nouvelle Première dame.

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 25

Ouidah s’offrait à nous, simple et mystérieuse. Glexue, la cité des kpassè, porte océane de l’ancien royaume du danxome avait donné déjà plusieurs premières dames au Bénin. Et nous voici entrain de lui en réclamer une nouvelle. Dans cette Mercedes ML qui venait de franchir le poste de contrôle policier de "vaseho" à l’entrée de la ville, l’ambiance était calme. J’étais assis devant, à côté du conducteur, Jean Djossou. Le pasteur Michel Alokpo était assis avec Chantal sur la banquette arrière. Ah ce sacré pasteur Alokpo ! C’était le genre de personnage difficile à classer. Son titre de pasteur ne faisait pas l’unanimité dans le milieu évangélique. Il lui était pêle-mêle reproché de ne tenir son titre d’aucun institut théologique, de n’avoir aucune assemblée régulièrement à sa charge et d’avoir déjà divorcé sans scrupule. Mais toutes ces accusations se faisaient exclusivement dans son dos. Car l’homme avait une capacité de nuisance que personne ne voulait tester. Ceux qui lui ont déjà cherché noise parmi les pasteurs évangéliques avaient dû rapidement ranger les armes et signer forfait. Il tient de son long activisme au sein des structures de base du Prpb, un sens aiguisé des intrigues mais aussi des arrangements et des compromis. Je ne me souvenais plus des circonstances de notre première rencontre. Mais une amitié s’était rapidement installée entre lui et moi. Il avait toujours une information de bonne source pour moi par rapport à l’évolution du baromètre politique dans le milieu évangélique. Son enthousiasme naturel lui ouvrait toutes les portes en effet. C’est d’ailleurs lui qui décida Chantal à s’engager pour ce retour à la source.
A l’entrée de la ville, nous ralentîmes pour laisser passer la voiture "Carina 3" car c’était Macaire Johnson, ce massif quadragénaire qui maîtrisait le terrain. C’était lui qui savait qui était qui et qui faisait quoi politiquement dans cette ville de Ouidah où il avait servi plusieurs années en temps que professeur de mathématiques. C’était un ami d’amphi de Albert, mon frère aîné. Mais depuis qu’il avait mit son énergie parfois débridée au service du yayisme naissant, nous étions devenus plus que des frères. A la seule force de la conviction, il avait réussi aux côtés de yayistes véritablement de la première heure comme Macaire Bovis, Akan Yaya, Paul Fagnide, Abou Idrissou, Habib Baba-Moussa, Eulalie Adjagba, Germain Zounon, le commissaire Michel de Dravo, à faire de Akpakpa une ruche du yayisme. La plupart de ces noms ne vous disent peut-être rien, et c’est normal. Il me paraît cependant bon et juste de passer également le nom de ces héros méconnus à la postérité. Car tels des prosélytes " Témoins de Jéhovah " , ils avaient, sans moyens, prêché Yayi de porte à porte à Akpakpa, avant que ne naissent opportunément plus tard des mouvements comme "Maman Yayi ". C’est aussi lui, Macaire Johnson que Yayi surnommait affectueusement "bulldozer", qui m’amena démarcher feu Aladji Diallo, une des figures emblématiques de la ville de Ouidah. La rencontre qui eût lieu au Centre de Promotion de l’Artisanat à Cotonou se soldat par un frustrant échec. Aladji Diallo qu’on disait agent des services de renseignements passa le plus clair de la séance à essayer de nous convaincre de la volonté du Général Kerekou de garder le pouvoir au-delà de l’horizon 2006.
Notre premier point de chute fut le quartier " massehouè " au coeur de la vieille ville. Raymond Gbedo, un jeune activiste, y avait regroupé une cinquantaine de femmes, de jeunes gens et de personnes âgées. Dans cette salle trop exiguë qu’il dit avoir louer spécialement pour en faire le quartier général du yayisme à Ouidah, il n’y a plus aucune place libre. Il a fallu créer un passage pour atteindre les sièges réservés aux hôtes de marque que nous étions. Notre disposition sur nos chaises, en face du public, était telle que Chantal se retrouvait en position centrale. Jean Djossou et moi l’encadrions. C’est Raymond Gbedo qui, le premier, prit la parole pour planter le décor. "Merci d’avoir enfin accepter de venir nous rencontrer" commençat-t-il. L’introduction qu’il fit était un plaidoyer pour la ville de Ouidah, laissée pour compte depuis les indépendances malgré le nombre de cadres qui en sont issus. Selon lui, il était temps que la ville prenne ses responsabilités au plan politique, ce qui justifiait leurs démarches à l’endroit du président de la Boad. Djossou se leva, prit Chantal par la main et lui demanda de se lever. Elle se leva et nous fîmes de même. Dans un fongbe peu glorieux, il lança en soulevant le bras de Chantal comme on le fait pour un boxeur victorieux : " est-ce que vous connaissez cette belle femme ? ". Un murmure indécis se fit entendre dans la salle. Puis Djossou continua, l’air malicieux : " ...qui connaît ou a déjà entendu parler de Monseigneur Isidore de Souza ?". Un bref moment d’hésitation puis un courant d’enthousiasme envahit l’assistance. Des "...ah c’est le visage en effet... ! " fusèrent pêle-mêle en fongbe. " En tout cas, finit Djossou, je n’en dirai pas plus pour le moment. C’est votre soeur, c’est votre fille. Et elle reviendra vous présenter quelqu’un de très précieux. Quelqu’un qui est désormais un des vôtres à cause d’elle ". Raymond Gbedo encouragea un début d’applaudissements qui contamina bientôt toute la salle. " je lui passe la parole. Elle va, de sa propre voix, vous dire un mot ", finit-il en baissant avec précaution le bras de Chantal. Celle-ci sortît péniblement de sa timidité puis, dans un fongbe dont l’accent me parut plus scandaleux que celui de Djossou et intercalant français et vernaculaire dans la même phrase, déclara : " Mes soeurs, mes pères, mes mères. Vous avez dû deviner pourquoi notre papa qui m’a présentée, a évoqué la mémoire de Monseigneur Isidore de Souza. Je suis en effet sa nièce. Chantal de Souza est mon nom. Et mon époux s’appelle Yayi Boni". Une salve d’applaudissements secoua à nouveau la salle. Chantal se fit brève en terminant : " comme l’a dit notre papa, je vais revenir vous le présenter dans les règles de l’art ". " Pas de soucis, nous sommes ici", lança quelqu’un d’une voix si enrouée qu’elle suscita l’hilarité générale. L’organisateur de la séance vint s’accroupir devant Djossou et à trois avec Macaire Johnson, ils échangèrent des chuchotements auxquels la petite sacoche en cuir de Djossou donnait une toute autre importance. De toutes les façons la séance était terminée et il fallait "renverser le siège"... Nous enchaînâmes avec une autre séance au quartier Gbènan. Elle fut de la même facture : Djossou, Chantal, évocation de la mémoire de Monseigneur

Isidore de Souza, je reviendrai vous présenter mon mari, puis la petite sacoche en cuir pour lever la séance ou ..."renverser le siège" !
Il était environ 15 heures lorsque nous prîmes le chemin du domicile familial de Chantal, pour un casse-croute. Le domicile était un enchevêtrement de bâtiments d’où n’émanait curieusement aucun signe de vie. Nous dûmes patienter près d’un quart d’heure devant le grand portail avant qu’un quadragénaire, en culotte, ne surgisse derrière nous, haletant, un grand trousseau de clés à la main. C’était un des frères de Chantal. Il dirigeait le collège privé d’enseignement que le prélat avait fondé à Ouidah de son vivant. C’était lui qui gardait la maison, tous les autres s’étant émancipés vers des horizons plus ou moins lointains.
Le déjeuner eu lieu au premier niveau d’un des nombreux bâtiment déserts de la maison. Nous y accédâmes en fil indien par un étroit escalier en terre de barre stabilisée. L’ambiance du déjeuner était bon enfant. Le pasteur Michel Alokpo, blagueur infatigable entretenait la bonne humeur. Eh oui, Chantal était de bonne humeur. C’était la première fois que je la voyais ainsi. Et ça lui allait si bien. Le "ablo" aux poissons frits qu’elle avait envoyé par glaciaire depuis Cotonou était excellent. Elle se chargea personnellement des services. Quand vint mon tour et qu’elle remplit mon plat à ras-bol avec en plus le sourire, je ne sus plus exactement quoi penser d’elle. Chantal serait-elle donc manipulatrice à ce point ?...
Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 26

En ces premiers jours de 2006, la machine électorale de Yayi tournait à plein régime et le maillage du terrain était des plus fins. Les grandes structures faîtières de mouvements de jeunes comme IMC-YANAYI présidé par Bénoît Dègla, l’UFPR de Edgar Soukpon ont été inféodées à un Bureau Central Intérimaire, BCI, présidé par Moïse Mensanh. Le BCI fédérait les énergies des mouvements de jeunes et des formations politiques. Face au BCI, des mouvements, partis et personnalités politiques affirmèrent clairement leur désire indépendance. Ce fut le cas, par exemple, du FRAP qui était déjà timidement sous la coupe de Chantal de Souza Yayi et du mouvement "Maman Yayi", monté et conduit par la première épouse de Yayi. La rivalité entre ces deux mouvements était donc naturellement passionnelle. Et bientôt, certains autres mouvements et personnalités politiques au flair puissant, choisiront d’aller faire allégeance à Aladja Zahia plus connue dans le sérail sous le nom de " Aladja Kpondéhou" . C’est à elle que certaines sources bien introduites attribuent le choix de l’étrange costume zazou à queue de pie que Yayi porta le jour de sa première investiture. Ces trois femmes d’influence se livreront une guerre de tranchées impitoyable autour du pouvoir pendant dix ans. Et c’était mieux de ne se retrouver dans le champ de tir d’aucune d’entre elles. Didier Aplogan qui réussit malgré cet évident avertissement, à s’attirer les foudres de "Aladja Kpondéhou" quelques mois seulement après notre commune nomination au poste de Conseillers techniques à la communication du président de la république, en récolta une rude année de traversée du désert, dont lui-même pourra témoigner le jour où le coeur lui en dira.
Mais ce qui nous tourmentait en ces moment, c’était cette obstination de Yayi à se maintenir président dé la Boad le plus longtemps possible. Nous étions à deux mois du premier tour du scrutin présidentiel et il continuait tranquillement ses activités à la tête de l’institution sous- régionale, comme si de rien n’était.
Évidemment, ses adversaires dont principalement Adrien Houngbedji, ne se privèrent pas de dénoncer la chose chaque matin dans la presse écrite. De tous les challengers, Adrien Houngbedji était en effet celui qui avait vite aperçu le danger que représentait la candidature de Yayi, même s’il perdit d’abord un temps précieux dans des postures de grande suffisance qui l’amenèrent à dire quelquefois en petit comité que ce Yayi qui n’avait jamais occupé une fonction élective au Bénin, pèserait à peine un ridicule deux pour cent de l’électorat. Et il ne manquait pas de quoi affermir ses certitudes. Ne murmurait-on pas que les services de renseignements de Kérékou étaient désormais à sa solde ?
Toujours, était-il que lorsqu’il finit par faire preuve de réalisme et par faire une lecture plus juste de la situation sur le terrain, les carottes étaient cuites. Et les attaques les plus virulentes auxquelles nous eûmes à répliquer, venaient à un rythme quotidien du Prd. Et l’une de ces attaques qui volaient parfois très bas avait consisté à diffuser une photo sur laquelle Yayi dormait, gueule affaissée et piteusement ouverte, tranquillement, au cours de ce qui apparaissait comme une grande réunion. Il s’agissait évidemment d’un montage photo et nous ne manquâmes pas de le dénoncer aussitôt dans la même journée. Mais la réplique que nous organisâmes quelques jours plus tard, fut d’une telle violence que , même dans ma position, je dus serrer le cœur pour participer à sa mise en exécution. Après tout, Houngbedji l’avait cherché.
Ce soir-là, je traînais seul dans la salle de la cellule de communication à Bar Tito. Toutes mes tâches du jour étaient pourtant exécutées et il s’en allait être zéro heure. C’est que Charles Toko, m’avait demandé formellement au téléphone de l’attendre. Rien qu’à en juger par son excitation au, je compris qu’il y avait soit un coup à donner, soit un coup à déjouer. Je patientai donc en essayant d’imaginer ce que pourrait bien être ce coup. Quand un peu plus tard, je vis entrer dans la salle, Eugène Abalo, un des jeunes talentueux webmaster du journal "Le Matinal", et qu’il me dit que Charles lui demandait de venir l’attendre là, la plupart de mes hypothèses de départ tombèrent. Charles finit par arriver et nous nous mîmes à trois autour de l’écran de son ordinateur portatif. Il cliqua fébrilement sur un dossier contenant quatre ou cinq fichiers images. Il cliqua à nouveau sur l’un des fichiers et une image apparut sur toute la surface de l’écran. Une image violente, brutale, sanglante, insupportable. Le corps ensanglanté d’une fillette allongée au bord d’une piscine. " Charles, c’est quoi ça là encore ?" demandai-je en projetant instinctivement ma tête en arrière. "TiRbuce, me dit-il, Houngbédji est fini". Je ne comprenais toujours pas. Aussi, gardai-je un silence qui l’obligea à parler plus simplement. " Quelqu’un vient de m’envoyer depuis la France les images de ce drame qui a eu lieu au domicile de Houngbédji à Porto novo et qu’il essaie d’étouffer. La fille est sa nièce. Elle se serait noyée dans sa piscine. Mais l’abondance du sang sur le cadavre fait croire qu’il s’agit d’un sacrifice rituel pour gagner les élections. La maman de l’enfant réclame depuis la France une autopsie que Houngbédji ne veut pas". Mon esprit plana un moment. Je comprenais tout le potentiel de cette image : le corps d’une fillette, du sang frais, une mère qui voulait engager le combat de la vérité contre Houngbédji, David contre Goliath. Les Béninois y seraient sensibles et l’effet serait mortel pour l’image du candidat tchoco-tchoco .
Mais je ne voyais pas encore très bien quel journal accepterait diffuser ces images, même si en ces moments de surchauffe de l’actualité politique, les journaux ne s’imposaient plus aucune limite. Mais Charles avait son idée sur la question ; et quand il me l’exposa, je compris que la communication du candidat Houngbédji ne se relèverait pas de si tôt d’un pareil coup de savate. Il faut, dit-il, viraliser les images, c’est dire à en faire une diffusion massive sur la toile. Les réseaux sociaux étaient encore à l’étape de balbutiement et le moyen le plus efficace était le mailing. Charles me chargea de trouver un titre fort pour souligner les images. J’étais plutôt à mon aise dans ce type d’exercice qui ne me demandait aucun effort. J’avais, en effet, pendant les presque dix ans passés au journal Le Progrès, travaillé mon sens déjà inné de la formule, sous l’ombre de Édouard Loko qui en était un as. Une vraie école !... "Drame rituel à Adjina", proposai-je aussitôt. Ce que Charles corrigea avec un sens pratique en " Sacrifice humain chez Houngbédji". Puis nous nous séparâmes en donnant du mieux que nous pouvions, des consignes de prudence et de sécurité au jeune Abalo. Cette nuit-là, la campagne de Houngbédji était irrémédiablement virussée. C’est Kérékou qui avait raison, me disais-je en remontant tranquillement dans la fraîcheur de la nuit, le chemin de Calavi : ce Charles était vraiment un diable.
Cependant, l’absence de Yayi dans le pays depuis une dizaine de jours, ne passait plus inaperçue au niveau du staff politique soutenant sa candidature. De la curiosité, les sentiments étaient passés à la gêne, puis à l’inquiétude. Nous étions bien à 24 h du dernier délai pour le dépôt des dossiers de candidature et notre candidat ne donnait plus aucun signe de vie. Le pire c’était que nous ne disposions d’aucune de ses pièces d’État civil, et il fallait, de toutes les façons, se rendre jusqu’à parakou pour retirer son casier judiciaire. Et tout ceci en moins de 24h ! Nous étions au bord de la crise de nerfs. Quelqu’un aurait-il envoûté Yayi ?

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 27

Tout compte fait, nous n’avions plus tellement le choix. Il nous fallait relancer ce satané Distel. Il était le seul capable de relayer sans état d’âme dans son journal, les images si agressives du cadavre de cette fillette allongée au bord d’une piscine qu’on disait être celle du château de Houngbédji à Adjina. La diffusion de ces images par mailing avait produit les effets escomptés. Plus de 400 adresses dont on peut supposer qu’au moins le tiers était actif. A côté des images montées dans photoshop avec un Yayi roupillant, bouche ouverte, en pleine réunion, celles qui apparaissaient depuis quelques heures sur l’écran des ordinateurs des propriétaires des adresses e-mail retenues, étaient l’arme absolue. Nous étions dans la proportion d’une grenade lacrymogène contre "Little Boy", la bombe atomique lâchée sur Hiroshima. Mais nous n’étions pas encore à l’ère des Androïds, et le besoin de relayer les images par un tabloïd se faisait sentir. Je savais que ce serait un pari risqué pour les directeurs de publication dont la quasi totalité était en contrat de non agression avec toutes les chapelles politiques.
Par ailleurs, un directeur de journal contacté à cet effet aurait immédiatement lancé l’alerte. Nous n’avions plus qu’une seule vraie possibilité de diffusion : Distel Amoussou. C’était le seul vrai "tolègba" en activité dans le monde de la presse écrite privée et pour qui, les scrupules étaient signe de faiblesse. Il m’avait déjà roulé dans la farine. N’empêche ! Je me retrouvai à son bureau de Zogbo avec une clé USB dont je m’assurai de transférer personnellement le contenu sur un des ordinateurs vétustes de sa rédaction. De toute façon, il ne se préoccuperait pas de lire le texte. Quand j’eus fini, je lui demandai de "voir le reste" avec Charles. Il tint parole cette fois-ci et le lendemain matin, une large photo de cadavre barrait la Une de son journal. Je fis, par mesure de prudence, le tour de quelques kiosques à journaux pour m’assurer de l’effectivité de la parution et de la mise en circulation du journal "PANORAMA". Il n’avait pas changé un mot au texte et peut-être même, ne l’avait-il pas lu...
La communication du candidat Houngbedji était envoyée dans les cordes et elle investissait désormais tout le reste de son énergie dans des démentis qui ne firent qu’augmenter l’intérêt du public pour cette affaire de " sacrifice humain". Et bientôt, les images de Yayi dormant et sous lesquelles était inscrite l’accroche " candidat dormidor" disparurent progressivement des feux tricolores de Cotonou. Nous avions remporté la partie. Ce que nous étions par contre loin d’avoir remporté, c’était le défi du dépôt des dossiers de notre candidat dans les délais fixés par la CENA et qui expiraient dans un peu plus de 24 h, alors que nous n’avions plus aucune nouvelle de lui. " Il est allé se préparer ", conjectura malicieusement quelqu’un. Se " préparer " sans se soucier de préparer son dossier ? Cela sortait de l’entendement. Une réunion de crise se tint rapidement dans la salle de la cellule de communication autour de Charles Toko qui devenait de plus le pivot des conciliabules, depuis qu’il était allé tancer Issa Salifou "Salé" sur le plateau de Canal 3. C’était l’expression d’une audace qui l’installa durablement dans l’estime des militants yayistes et de tout le gotha politique qui soutenait "l’homme de Tchaourou". Avaient pris part à cette réunion de crise et d’urgence, Ahamed Akobi, Saka Lafia, André Dassoundo, Charles Toko et moi. L’heure était grave et nous étions dos au mur. Le certificat de résidence ne posait pas un grand problème car nous pouvions l’obtenir facilement chez le délégué de cadjehoun qui faisait déjà partie des yayistes, malgré les pressions et rappels à l’ordre discrets mais fermes de la RB. Comment donc obtenir en moins de 24 heures, le casier judiciaire à trois colonnes dont la demande ne pouvait être faite que par le titulaire ? Comment l’obtenir dans un contexte de lourdeur administrative dans un délai aussi bref ? Comment le convoyer ensuite sur Cotonou dans ce même délai sans qu’il ne connaisse aucune avarie en route ? Et comment faire signer le dossier de candidature alors que le candidat lui-même n’était plus joignable ? Le sort semblait décidément s’acharner contre cette candidature après le remuant épisode de la loi de l’exclusion. D’abord, il fallait commencer par le plus dur : le casier judiciaire. Charles se proposa de prendre le chemin de Parakou le lendemain au petit matin. Mais le problème n’en serait pas pour autant réglé s’il fallait compter sept heures de route. La probabilité qu’il y arrive à l’heure de pause de la mi-journée était grande. Dans ce cas, il faudrait alors attendre 15 heures, la réouverture des bureaux sans oublier l’incivisme de certains agents qui pouvaient simplement ne pas répondre présent au poste dans l’après- midi. Et tout ceci, c’était sans compter avec d’éventuels problèmes mécaniques sur le chemin. L’évaluation de la situation était en notre défaveur. Nous étions impuissants. Il fallait que quelque chose se passe. Il fallait la main de Dieu...
Soudain, une idée traversa mon esprit. Lumineuse. Divine. J’avais beau être originaire d’Abomey que je regagnai en 1991, je n’en étais pas moins natif de Parakou. Mon père y avait passé la quasi totalité de sa carrière de chauffeur et nous y étions tous nés. Et n’eussent été le profond chauvinisme aboméen de mon père et surtout, son autorité indiscutable sur nous, le dendi eût été la langue parlée chez nous à la maison. C’était en effet la première langue que nous comprenions tous avant de comprendre le fongbé, puis le français. Et à part mon frère aîné Albert et moi, tous les autres s’étaient naturellement et définitivement incrustés dans cette ville. Je pensai aussitôt à Marguérite, ma soeur aînée immédiate. Elle avait pris le tempérament enthousiaste de ma mère et savait ouvrir n’importe quelle porte dans l’administration locale parakoise. C’est d’ailleurs à elle que je m’en remettais pour l’obtention en urgence des copies de mon acte de naissance, d’extraits de mon casier judiciaire. Elle serait parfaite pour aller le lendemain matin retirer au tribunal de Parakou, le casier judiciaire à trois colonnes de Yayi. Elle en avait le cran, l’entregent et les réseaux nécessaires. Je partageai rapidement ma proposition qui soulagea profondément l’assistance. Charles prendrait donc le chemin de Parakou au petit matin et n’aurait plus qu’à retirer le document chez Marguérite, une fois sur place. Je l’appelai sur place et elle fut très heureuse d’avoir enfin un rôle valorisant à jouer dans cette affaire. Quand elle m’appela le lendemain à dix heures, mon triomphe était total. Elle avait réussi en distribuant du "beau- père", " beau-frère", "belle-mère" et " belle-soeur" à gauche et à droite dans l’administration du tribunal, à obtenir séance tenante, et en plusieurs exemplaires, le casier judiciaire à trois colonnes de Yayi. En reprenant la route de Cotonou dans l’après-midi avec le trophée, Charles me fit au téléphone un discours aux allures testamentaires et qui reflétait bien son sens inné du sensationnel et du faussement dramatique. "Ti R buce , me dit-il, je reprends comme ça le chemin de Cotonou avec le casier judiciaire de Yayi Boni. Si quelque chose m’arrivait en chemin, sache que ta soeur Marguérite en détient encore une copie que vous devez alors immédiatement trouver le moyen d’envoyer à Cotonou". Bien entendu, il ne s’était rien passé en chemin et Charles était rentré à Cotonou autour de 22 heures. Mais pendant que son chauffeur de circonstance revenait à Bar Tito après l’avoir déposé à son domicile à Akpakpa, la 4×4 percuta si violemment le muret du terre-plein central de l’autoroute au niveau de PK 6, qu’elle devint définitivement irrécupérable. Le chauffeur s’en sortit indemme et Charles ne manqua pas d’en faire une lecture à la gloire de ses attirails mystiques. Le casier judiciaire était donc désormais en mains sûres. Quant à ma soeur , elle garde encore en sa possession jusqu’à aujourd’hui les copies demeurées chez elle.
Mais un autre problème se dressait devant nous en cette veille de clôture des dépôts de candidature. Un problème gigantesque, insurmontable. Un problème infranchissable : comment obtenir la signature de Yayi ?

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 28

Aujourd’hui jour de clôture des dépôts de candidature pour la présidentielle de mars 2006. Et pourtant aucune nouvelle de Yayi. J’avais pu glaner quelques informations sur sa position géographique, mais je n’étais pas fondé à les partager. Je savais par exemple qu’il avait entrepris une tournée auprès des chefs d’État de l’espace UEMOA pour leur annoncer sa candidature prochaine à l’élection présidentielle béninoise et par conséquent son départ de la tête de la Boad. Ses relations avec ces chefs d’État étaient plutôt bonnes. Pas plus. Mamadou Tandja le nigérien ne lui cachait pas sa sympathie. Blaise Compaoré le burkinabé était plus froid et plus intrigant, mais n’affichait pas de réserve particulière à ce projet politique. Amadou Toumani Touré le malien l’encourageait avec effusion à y aller. Laurent Gbagbo l’Ivoirien faisait des blagues allusives sans que sa position ne soit clairement lisible. Le patriarche Abdoulaye Wade avait sa petite idée sur la candidature : " mon fils, pourras-tu tenir face aux vieux crocodiles de la mare politique béninoise ?". Le timonier togolais Gnassingbé Eyadema était de loin le plus protecteur. C’était lui le père politique de Yayi à qui il lui arrivait de faire passer les états d’âme du Général Mathieu Kerekou par rapport à ses actions populistes sur le terrain. Car même s’il ne fit rien pour empêcher la marche victorieuse de Yayi sur le terrain, surtout dans ses fiefs du nord, Kerekou n’ouvrit jamais ouvertement le débat avec lui quant à ses ambitions présidentielles. Mystérieux, il observait et laissait faire. Ce n’étaient pourtant pas les fiches dénonciatrices des services de renseignements qui manquaient. Et face a cette inaction du Général, le Colonel Patrice Houssou Guèdè entreprit de sa propre initiative, une opération ouverte d’intimidation sur Yayi qu’il s’en fut cueillir un jour à l’aéroport international de Cadjèhoun au retour de l’un des très nombreux voyages du président de la Boad. Alors que celui-ci se dirigeait vers le hall de l’aéroport, le patron des renseignements s’avança vers lui, lui serra la main de façon virile et lui intima l’ordre d’arrêter immédiatement ses agitations politiques sur le terrain qui pourraient désormais être prises pour de la subversion. Ce qui, paradoxalement, choqua Yayi dans cette confrontation inattendue et dont il se plaignit longtemps, c’était moins les menaces du colonel que le fait de lui avoir ainsi parlé en gardant sur sa tête, ce chapeau feutre sombre dont lui et le syndicaliste Lokossou semblaient connaitre les vertus. Oui ! Yayi faisait une vraie fixation sur les signes apparents de respect de son autorité. Il était par exemple moins risqué de l’insulter en se prosternant devant lui que de faire sa louange en restant debout face à lui, les mains dans la poche. Plus tard, le Général Robert Gbian, alors colonel et directeur du cabinet militaire de Yayi, eut ses moments de disgrâce pour une innocente posture "mains dans les poches" devant le chef suprême des armées, Yayi. Nous y reviendrons sans doute. Toujours est-il que cette initiative désespérée du patron des renseignements semblait ne rien avoir avec Kerekou. Celui-ci laissait faire. Et nous guettions ses moindre signaux avec parfois beaucoup d’anxiété. Celui qu’il nous fit au cours d’un de ses discours institutionnels sur l’état de la nation devant la représentation nationale nous fit plus que tressaillir de bonheur. L’énigmatique kaméléon, dans une sortie de piste au beau milieu de cette allocution, envoya un violent uppercut à toute cette classe politique qui ne pensait, disait-il, qu’à bloquer les actions de développement du "jeune compatriote de la Boad". Tunde s’assura d’en faire une dizaine de gros titres à la Une des parutions de son écurie. Mais le plus intrigant ensuite, c’est ce repli immédiat et cette froideur qu’observa le général vis à vis de celui qu’il venait pourtant de célébrer devant l’Assemblée nationale. Insaisissable kaméléon. Que fallait-il en comprendre ?
Le timonier Gnassingbé Eyadema, disais-je plus haut, était un père pour Yayi qui le lui rendait bien par de périodiques visites privées dans sa citadelle privée de Lama-kara, dans le nord du Togo. C’est que Eyadema, échaudé par le douloureux épisode diplomatique que fut pour lui le passage de Nicéphore Soglo, observait avec grand intérêt les tractations de fin de règne au Bénin. Et si l’imprévisible Kérékou qu’il encourageait ouvertement à réviser la constitution et à se maintenir au pouvoir, devait lui refaire le coup de sa " Conférence nationale" de 1990 en abandonnant le pouvoir, il vallait mieux garder un œil bienveillant sur le jeune Yayi qui savait si bien faire les samalecs. Mais le vieux timonier ne verra pas 2006 et je garde en mémoire la dernière visite que Yayi lui rendit à Kara. C’était en Janvier 2004 et j’étais du voyage.
Partis de Tchaourou dans la semi-pénombre du matin, nous fîmes un long contournement par Parakou, la bretelle Tchaourou- Beterou étant rendue inopérationnelle par l’affaissement d’un ponceau. J’étais assis sur la banquette arrière de la Mercedes, à côté de Yayi. Son garde du corps, Yakoubou Aboumon qui deviendra plus tard son garde du corps principal, occupait le siège à côté du chauffeur Tankpinou. Ce chauffeur était véritablement un génie du volant. La relation avec son patron était si fusionnelle qu’il savait silencieusement faire un sort à ses injonctions parfois intempestives. Car Yayi adorait la vitesse et les prises de risque sur la voie. Le voyage fut paisible et les causeries s’enchaînèrent sans arrêt. En traversant Djougou, Yayi garda un silence songeur. Cette ville faisait partie des portes dont il n’avait pas encore la clé.
Il sonnait déjà onze heures lorsque que nous entrâmes dans la petite et paisible ville de kara. Nous empruntâmes ensuite une longue piste bitumée et bordée de géants arbres presque centenaires. La piste était vide et de temps en temps, un poste de contrôle de la garde présidentielle togolaise me signalait que nous roulions vers le coeur du pouvoir. Puis la voiture se dirigea enfin vers un parking où étaient stationnés quelques véhicules officiels. Une grande clôture blanche et austère se dressait devant nous. Un groupe de soldats, l’arme aux poings, filtrait l’entrée du domaine devant un portillon. Nous descendîmes. Yayi me fit signe de le suivre. Yakoubou le garde du corps, resta avec le chauffeur. Arrivés devant la sentinelle, il nous était impossible de passer. Ces soldats étaient tellement habitués à voir défiler l’élite togolaise et même africaine, que personne d’entre eux ne semblait reconnaître Yayi. De toutes les façons, c’était bloqué et il nous était impossible de passer. Un des soldats finit par nous indiquer sans ménagement un banc branlant sous un arbre feuillu. Nous allâmes y prendre siège. Yayi fulminait : " ah ces petits militaires ! Aucun respect einh..." En vérité Yayi avait bien son rendez-vous avec le timonier. Mais un cas d’urgence sanitaire était intervenu entre-temps et une équipe de chirurgiens et d’ophtalmologues européens tentaient une opération sur les yeux du président togolais. Nous passâmes près d’une heure, assis, à deux sur ce vieux banc qui grinçait sans arrêt. Finalement, un haut fonctionnaire qui ressortait de la résidence, reconnut le président de la Boad et intercéda pour qu’il entra. J’attendis seul sur le banc pendant un temps qui me parut une éternité.
Aujourd’hui est donc jour de clôture de dépôt des dossiers de candidature pour l’élection présidentielle de mars 2006 et Yayi n’était pas joignable. Au siège de campagne à Bar Tito, je voyais aller et venir Saka Lafia, la mine fermée. Il est quinze heures et je n’avais pas encore aperçu Charles Toko. Il était revenu d’un aller-retour la veille sur Parakou et devrait être "KO", me disais-je. La mission était une réussite inattendue et ma grande soeur Marguerite qui m’appelait régulièrement de Parakou n’affichait pas une grande modestie à ce sujet. Son entregent et ses relations avec le procureur de la république près le tribunal de première instance de Parakou avait permis de sortir le casier judiciaire numéro 3 de Yayi. Ce magistrat souffrira pourtant le martyr pendant les dix ans de règne de l’homme du changement et de la refondation.
Le temps s’égrenait, inexorable. Et bientôt, je vis Charles entrer dans le bureau en compagnie de Ahamed Akobi. Il m’informa avoir passé toute la matinée à la recette- perception de Jéricho en compagnie de Macaire Johnson pour le paiement des frais de dépôt de candidature. La quittance était là, dans l’épaisse chemise-dossier à sangle que tenait Ahamed Akobi. Mais le problème, c’est que Yayi n’était pas là pour signer. Et le temps passait, sans arrêt. Je demandai qu’on ferma la porte du bureau à double tour. Nous n’étions plus que trois. Je demandai une feuille blanche...

Tiburce ADAGBE

Mémoire du chaudron 29

Chabi Zakari Félicien était dans tous ses états. Il était directeur général du Trésor et jusqu’à 17h, il ne voyait personne passer à sa caisse pour le paiement et le retrait de la quittance obligatoire sur le dossier de candidature. Ahamed Akobi finit par donner suite à ses appels incessants en le rassurant. La quittance avait été bien retirée, mais à la recette-perception de Jéricho en face du marché Saint - Michel. Le dossier était d’ailleurs totalement prêt. Tout était bouclé et le cortège s’ébranla bientôt en direction de la CENA. La délégation était conduite par le professeur Jean-Pierre Ezin qui était l’œil du renard de Djrègbé, Albert Tevoedjrè dont le PNE, parti national ensemble, était, avec le NCC de François Tankpinou, les premiers soutiens politiques ouverts de Yayi dans l’Oueme. Jean-Pierre Ezin, cet après-midi là était accompagné de Ahamed Akobi, André Dassoundo, Saka Lafia, Macaire Johnson et bien évidemment Charles Toko. J’étais resté à Bar Tito bien que n’ayant plus rien de particulier à y faire. L’ambiance bruyante des militants qui allaient et venaient, l’écho parfois sourd de la musique dehors, à l’entrée du siège, me laissaient songeur. Si tout ce monde insouciant pouvait savoir ce qui venait d’être éviter. Je repensai à tout ce parcours qui, finalement, aurait été vain. Quatre ans de réunions plus ou moins secrètes, de voyages de jours comme de nuits sur les pistes les plus improbables du pays. Quatre ans de rencontres, de contacts. Quatre ans de meetings. Un condensé de parcours et d’expériences qui, de toute évidence, étaient largement au dessus du jeune trentenaire que j’étais. Le Bénin s’était présenté à moi, de façon inespérée, dans toute sa nudité. J’avais parcouru tous ces moments aux côtés de Yayi Boni comme si j’étais aussi candidat aux élections présidentielles. J’avais vécu intensément les grands moments de joie, de doute et de désespoir. Et dans ces moments de doute, je m’accrochais à ce songe prémonitoire que je fis en 2002 et dans lequel le visage du Général Kerekou se transforma sous mes yeux en celui de Yayi que je n’avais encore jamais vu physiquement et dont le journal "Le Progrès" venait, sous l’insistance de Serge Loko, d’annoncer le destin présidentiel. J’avais une foi inébranlable en mes songes de sorte qu’il m’étais souvent arrivé assez souvent dans mon cursus scolaire et universitaire, de voir en partie le corrigé-type d’une épreuve qui se présentait à moi le lendemain, dans les moindres détails. Au Bepc comme au Bac, j’avais suivi la proclamation de mes résultats avec une frappante précision avant même le début des épreuves. Cela avait évidemment ses mauvais côtés qui me torturaient souvent quand le songe étais mauvais et que je devais voir se dérouler un drame inéluctable. C’était de l’irrationnel certes, mais c’était infaillible pour moi. Avec Yayi, j’avais alors vu le Bénin du jour, mais aussi celui mystérieux des mille et une nuit. Et parlant de ce Bénin des nuits, je n’oublierai pas de si tôt celui que nous fit découvrir Chabi Zakari Félicien, chez lui à Toui.

C’était à l’occasion de l’une des dernières tournées préélectorales que nous fîmes dans le nord des collines, plus précisément dans la commune de Ouesse. Partis de tchaourou en début d’après-midi, nous eûmes notre premier meeting dans l’agglomération de kilibo. Dans la cours de l’école primaire publique, noire de monde, la fierté nagot fut au coeur de tous les discours, certains allant jusqu’à maudire tout locuteur de la langue tchabè qui ne se rangerait pas derrière la candidature de Yayi Boni. Et ils étaient en effet très rares, à penser comme Amos Elegbe, que la nébuleuse Yayi n’était qu’un trompe-l’œil, un ballon de baudruche qui se dégonflera très vite. C’est dire que le soutien de l’aire culturelle tchabè à la probable candidature du fils du terroir était ferme et dense. Après l’étape de kilibo qui ne prit fin qu’à la nuit tombée, notre délégation qui s’allongeait désormais au fil des jours, mit le cap sur le petit village de Ikemon. Même enthousiasme, mêmes malédictions proférées à l’encontre des "traitres" à la cause tchabè. Notre entrée dans le chef-lieu Ouesse, eu lieu au- delà de 23 heures à cause surtout de l’état défectueux des voies. Car l’arrondissement de Ouesse souffrait de tout. Elle ne disposait ni d’électricité, ni d’eau courante, et la voie d’accès principale n’était pas des plus confortables. Benoît Degla qui nous y accueillit dans la modeste maison du peuple éclairée à l’énergie d’un groupe électrogène, planta le décor en énumérant les doléances de sa terre. La foule compacte qui veilla jusqu’à tard dans la nuit pour écouter ce Yayi dont les calendriers étaient une denrée de choix, applaudit à tout rompre les promesses de cet homme qui s’engageait à ne jamais oublier ses frères mahi de Ouesse dont un des " dignes fils", en l’occurrence Benoît Degla faisait partie de sa garde rapprochée. La dernière étape de cette tournée fut Toui que nous atteignîmes autour de deux heures du matin. Le ronronnement des moteurs de la dizaine de véhicules qui formait notre cortège, réveilla la population qui, lasse d’attendre depuis 16 heures, s’était assoupie. Après un rapide arrêt dans la villa de Chabi Zakari Félicien, nous nous ebranlâmes vers le lieu du meeting. Mais au lieu d’un meeting classique, ce fut à une véritable démonstration des réalités mystiques du peuple tchabè que nous assistâmes. La foule, réveillée s’excitait comme si elle voulait se racheter d’avoir entre-temps cédé au sommeil. La place du village, éclairée par quelques timides lampes néon, bruissait des roulements du tambourin - parleur que les anglophones désignaient plus justement sous l’appellation de " talking drum". Albert, Macaire et moi avions pris siège derrière Yayi. Les roulements du tambourin s’intensifièrent aussitôt. Trois personnes, masquées et habillées en peau de bêtes, s’élancèrent au milieu de la scène, poussant des cris stridents, imitant différents oiseaux ou mammifères. Ils sautaient, virevoltaient avec furie, mimant des scènes de chasse, puis venaient se prosterner devant Yayi en prononçant d’interminables incantations dans un langage inconnu. C’étaient la société secrète des chasseurs, très réputée dans cette aire culturelle. Ils furent bientôt suivis par des femmes d’un certain âge, décharnée, dansant nonchalamment en balançant le corps à gauche et à droite. L’écho sonore du Daïbi, ce rythme rituel fédérateur des tchabè, envahit alors l’espace, sous cette voûte céleste sans étoiles. Puis un chasseur s’élançait à nouveau, fougueux, faisant des transes et poussant des cris d’animaux si perçant que j’en avais la chair de poule. Il faisait le tour de la scène puis finissait dans une bruyante allégeance à Yayi. Quand à quatre heures du matin, nous reprîmes la route pour Tchaourou, j’avais l’impression d’avoir vécu une nuit avec le monde des esprits. Et ce n’était certainement pas faux.
Bientôt une demi-heure que la délégation était partie à la CENA. Je rappelai Macaire Johnson pour avoir des nouvelles. Tout se passait bien. Mais mon interlocuteur rappela et me demanda de replier sur Cadjehoun. "Tiburce, le président vient de joindre Dassoundo. Il est à cadjehoun depuis quelques minutes et tient absolument à faire bénir le dossier par un groupe de pasteurs". J’en croyais à peine mes oreilles. N’était- ce donc là que ce qui l’intéressait ? Je foncai en direction de Cadjehoun...
Tiburce ADAGBE

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