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(Par Roger Gbégnonvi)
Quand on parcourt le Bénin de la mer Atlantique au fleuve Niger en observant les symboles de la religion sur les voies principales sans pousser vers l’intérieur des terres, le Dieu que l’on voit s’élever et qui, sans doute, appelle l’homme à se mettre debout et en marche, c’est le Dieu de Moïse et de Mohamed, venu de l’extérieur et auquel nous avons adhéré : églises, temples, chapelles, mosquées, clochers, minarets, calvaires, même si ces derniers, qui divinisent la souffrance et la mort, étonnent. Tout le reste est à ras de terre : tas de boue séchée, tas de pierres ou de cailloux, tas de ferraille ou de tessons de bouteille fichés dans la boue séchée, et tous ces tas badigeonnés abondamment d’un mélange de farine blanche, d’huile rouge et de sang, mélange qui, soumis aux intempéries et délavé par les pluies, peut choquer un regard délicat, d’autant que, par ailleurs, autour de ces amas de choses hétéroclites, chiens et cochons errants viennent s’en donner à cœur joie, Dieu sait pourquoi. Ce ‘‘tout le reste’’, collé à la poussière, appelant l’homme à s’affaler et à ramper, c’est nous, ce sont les représentations de notre religion aux cultes multiples et multiformes.
La différence entre les clochers-minarets et les monticules d’objets bizarroïdes n’est pas anodine, elle est abyssale et profondément déterminante au regard de ce que disent nombre de philosophes et de sociologues penchés sur la question de la religion, savoir que c’est elle, la religion, qui constitue l’âme première de toute civilisation. Ce dont il faut déduire que la civilisation, en Afrique subsaharienne, est à l’image de la religion qui l’insuffle, religion aux symboles dérisoires de bibelots, de bric et de broc. Dans le panthéon africain, pris d’assaut par des démiurges nabots et sales, point de combat féroce entre Dragon, lanceur de feu, et Lucifer, porte-lumière. Sa religion a fait de l’Afrique une terre sans passion, où s’étalent meurtres singuliers et honteux à grand renfort de cachotterie appelée sorcellerie. Terre sans panache et sans splendeur. Pour des gadgets, nous avons collaboré au plus odieux commerce connu. Et à Ouidah, non loin de la place des enchères, à 4 km des pirogues et du navire attendant livraison de la marchandise, nous nous arrêtions un instant devant le vaudou Aïzan pour le prier de bénir notre commerce, notre entreprise de vente des meilleurs d’entre nous. Le résultat est patent : là où les Juifs sont entrés dans l’histoire au prix de six millions d’entre eux déportés et gazés, les Africains n’y sont pas entrés malgré cent millions d’entre eux déportés et animalisés. Sarkozy l’a clamé, Macron l’a confirmé, qui attribue le non-développement de l’Afrique à sa seule civilisation. Et sur la base d’une civilisation animée par une religion qui n’élève pas l’homme mais l’abaisse, nous méritons toutes les insultes. Et c’est en vain que Nicéphore Dieudonné Soglo enfourche le cheval de l’honneur et de la dignité. Ce cheval-là n’existe pas à l’ombre de notre civilisation rance.
Nous voilà, tels que nous sommes et refusons de nous reconnaître, pris dans les rets d’une civilisation régentée par des dieux poussiéreux. Et nos incursions sur les terres chrétienne et musulmane sont du cinéma, car nous sommes profondément et depuis toujours les otages de ces dieux rampants. Pour nous élever au-dessus de leur inanité, nous devrions les arracher pour, enfin, transfigurer et enchanter notre religion. Or, simples agents répétiteurs des mots et gestes surannés, les servants de nos dieux-camelotes ne sont pas théologiens sur voies d’évolution humaniste de la religion, ils sont pusillanimes égorgeurs de poulets et de moutons. Sommes-nous donc condamnés à vie par notre religion rase-motte ?
Au milieu de ses malheurs, Job aura été supplié par sa femme : ‘‘Maudis donc Dieu et meurs.’’ Le Dieu de Moïse et de Mohamed ne saurait être maudit au soleil conquérant de la civilisation de cape et d’épée qu’il déploie. Mais que faire des dieux d’Afrique ?