Le vendredi, Lomé frôle le délire : les rumeurs étaient totalement devenues folles, on constate des rassemblements de personnes dans de nombreux points de Lomé, et les taxi-motos, véritables fourriers de la rumeur continuent à distiller allègrement l’information sur la mort du Président. Des journalistes invités à une émission sur Kanal FM, à savoir Carlos Ketohou, Germain Pouli et Jean-Paul Agbo n’ont pas pu arriver à éclairer l’opinion alors qu’on attendait beaucoup d’eux. C’est à peine croyable.

Le 26 novembre dernier le chef de l’Etat part sans tambours battants, presque sur la pointe des pieds, en visite d’Etat en Israël. Une visite qui devrait durer trois jours, selon le milieu gouvernemental. Dans la soirée du jeudi 29 novembre, d’assourdissants bruits se répandent quant au décès de Faure Gnassingbé en Israël. Le samedi, alors que la rumeur continue de s’amplifier, MO5-Togo annonce que Faure Gnassingbé est bel et bien vivant, de surcroit sur le chemin de retour au Togo.

In ( www.mo5-togo.com )

Dans la foulée, Gilbert Bawara, le volubile ministre de l’Administration territoriale et des collectivités locales, annonce à la radio que Faure Gnassingbé rejoindra Lomé en début de soirée et qu’il invite « les populations » à réserver un « accueil massif et chaleureux » au chef de l’Etat. Il est parti sans aviser "les populations" et maintenant elles devront aller l’accueillir en fanfare ! Comment comprendre cela ?
Selon sa définition par Allport et Postman, la rumeur est « une proposition liée aux événements du jour destinée à être crue, colportée de personne en personne, d’habitude par le bouche à oreille, sans qu’il existe des données concrètes permettant de témoigner sur son exactitude ». Grosso modo, la rumeur est présentée comme une déclaration destinée à être crue, se rapportant à l’actualité et répandue sans vérification officielle. Dans le cas qui nous occupe la rumeur pourrait être un gros canular savamment monté par le pouvoir pour augmenter la côte d’un président mal aimé. Une source crédible proche du pouvoir nous a même confié que la rumeur est née, tenez-vous bien, sur recommandation d’un marabout-féticheur : « Il faut que le peuple annonce le malade pour mort pour racheter une longue vie ». Ne riez pas, nous sommes au cœur de la dynastie des Gnassingbé où on n’hésite même pas à enterrer, parfois, des boeufs vivants pour des supposés pouvoirs surnaturels.

Des réponses à deux questions peuvent amener à comprendre ce qui est arrivé aux Togolais ces derniers jours. Comment est réellement née cette rumeur ? Le sommet du pouvoir est-il à l’origine ?

Pour y répondre, une digression s’impose. Tout est parti de la maladie plutôt vraie ou supposée de Faure Gnassingbé. Le fils du général Eyadema serait un grand malade comme son père. La rumeur ou l’info a été relayée par l’intellectuel Comi Toulabor qui l’explique par les inexpliquées virées du chef de l’Etat presque tous les week-ends en Italie où il allait se soigner. Une explication tout à fait plausible. Le président aurait été de tout temps un homme malade, et les soins récurrents peuvent conduire à une fatigue des globules blancs et donc à cette leucémie désignée. Cette épée de Damoclès pourrait expliquer la prédation sexuelle du Président, dit-on. Quand on est mis autant sous pression par la mort, quoi de plus jouissif de savourer les plaisirs de la vie, d’avoir une sexualité exubérante.

Mais il arrive que la leucémie, incurable, peut tout de même être vivable pendant longtemps s’il n’y a pas de circonstances aggravantes. L’ex- Président dictateur guinéen Lansana Conté était leucémique, mais une autre maladie (le diabète) aurait précipité sa mort.

Soit. Depuis quelques temps, les réseaux sociaux se sont emparés de cette rumeur sur la maladie du chef de l’Etat. Certaines rumeurs sont carrément malveillantes et obscènes qui traitent le président de souffrir de mongolisme depuis l’enfance. Les réseaux sociaux ont pris le relais de ces rumeurs sur la maladie du chef de l’Etat, à bras le corps ; ou plutôt à bras le clavier. Certaines personnes ouvertement anti-Faure, mais incapable d’informer sous leurs vraies identités, désespérées de voir tomber le régime en dépit des manifestations de l’opposition, semblent purement prier pour l’extinction biologique du chef de l’Etat. Ce sont ces personnes qui ont amplifié l’information en faisant probablement et naïvement le jeu du pouvoir. L’attente est comblée !

Confusion indescriptible

Un blogueur peut-être togolais anonyme et ouvertement anti-Faure Gnassingbé, animateur du blog sasnews (sassenews.overblog.com/togo-faure-gnassingbe-est-decede), titre : Faure Gnassingbé décédé. Ce blogueur livre des informations étonnantes en donnant le nom de l’hôpital où le président serait mort. Selon lui, si l’information n’est pas encore officielle, si l’hôpital en question n’a pas annoncé le décès du Président, c’est que les officiels israéliens seraient complices des Togolais pour camoufler le décès. Mais pourquoi un hôpital refuserait de livrer une information de cette importance. Pour mieux préparer la succession ?

Le vendredi, Lomé frôle le délire : les rumeurs étaient totalement devenues folles, on constate des rassemblements de personnes dans de nombreux points de Lomé, et les taxi-motos, véritables fourriers de la rumeur continuent à distiller allègrement l’information sur la mort du Président. Des journalistes invités à une émission sur Kanal FM, à savoir Carlos Ketohou, Germain Pouli et Jean-Paul Agbo n’ont pas pu arriver à éclairer l’opinion alors qu’on attendait beaucoup d’eux. C’est à peine croyable.

Et pourtant, il est tout de même possible voire facile de vérifier et tordre le cou à cette rumeur. Tout d’abord, dans un pays toujours au bord de l’instabilité comme le Togo, où l’armée est le vrai dépositaire du pouvoir, chaque fois que le régime semble ébranlé dans ses fondements, les FAT sortent pour prendre les points névralgiques de la capitale. Ensuite, il y a tout de même une dévolution constitutionnelle du pouvoir qui fait du Président de l’Assemblée nationale le chef de l’Etat intérimaire en cas de vacance du pouvoir. Selon la constitution, il a 60 jours pour organiser de nouvelles élections. En cas de décès de Faure Gnassingbé, on devrait normalement assurer à Abbas Bonfoh, l’actuel président de l’Assemblée nationale, tous les attributs. Au minimum, renforcer sa garde rapprochée, contrôler ses déplacements, au cas où le décès du Président n’est pas encore officiellement proclamé. Ou soit inquiété le successeur constitutionnel comme ce fut le cas pour Natchaba.

Rien de tout cela n’était visible à Lomé. Et pourtant la rumeur court à la vitesse lumière. Elle court, elle court, la rumeur …

Autre chose incroyable qui aurait donné une certaine crédibilité à la rumeur mais qui montrerait aussi qu’il pourrait s’agir bien d’une machination du pouvoir. Il s’agit de la visite des principaux responsables de l’armée et de la sécurité du territoire en Israël. Yark Damehane (ministre de la sécurité et de la protection civile), Atcha Titikpina (chef d’Etat-major général des armées), le nouveau directeur de l’Agence nationale du renseignement (ANR) et Yotrofeï Massina (supposé en stage en Turquie), étaient allés en visite en Israël et en avaient profité pour aller "saluer l’autorité", selon l’expression de Yark Damehane. Les instigateurs du canular ont fait croire à deux choses : soit ces responsables sont allés en Israël pour aller préparer la succession du chef de l’Etat, soit pour aller constater de visu si dans son état comateux, il serait vraiment dans un état de mort clinique. Mais doit-on aller jusqu’en Israël pour préparer la succession de Faure Gnassingbé ? La troupe a cette habitude qu’elle n’obéit qu’aux commandements directs, c’est-à-dire aux officiers présents devant eux et qui leur donnent les ordres directement. Et les officiers se comportent de même. Quelle troupe obéira à des ordres venus d’Israël ?

Un autre fait a contribué à faire croire au vrai-faux décès : le silence des autorités et de la TVT. En dépit de la rumeur, le gouvernement n’a produit aucun communiqué pour démentir la rumeur. Il l’a plutôt encouragé par son silence. A quoi bon démentir ce qu’on a soi-même manigancé aux fins obscures ?

En effet, c’est la conduite de la TVT et autres médias officiels qui aura permis d’amplifier la rumeur. Ces médias relaient la visite du chef de l’Etat et l’illustrent avec des photos. Il n’y a pas de vidéos de la visite. Pour une opinion publique ignorant qu’il s’agit de la première visite du chef de l’Etat en Israël, on a vite de conclure à un montage grossier par ces deux médias. Et pourtant, le président Faure Gnassingbé n’a jamais rencontré auparavant Bibi Netanyahou ou Shimon Pérès. Les images sont donc vraies, mais personne ne les croit, puisque ces caisses sont habituées à servir des montages grossiers.

Gouvernement et TVT

En ceci, la TVT demeure une télé totalement démodée qui garde toujours les vieilles habitudes du temps d’Eyadema. Quand le Président voyage, il faut attendre son retour pour avoir le film de l’événement. A l’heure des nouvelles technologies de l’information et Internet, il est absolument incompréhensible que l’équipe de communication de la Présidence, une équipe à majorité incompétente au demeurant, n’ait pas pu envoyer des images à la TVT. Faut-il leur demander d’avoir recours au service de certains confrères plus aguerris des médias privés ? Tous ces éléments ainsi que d’autres ont fini par faire grossir la rumeur jusqu’à la faire prendre pour vraie. N’est-ce pas là le but visé ?!

Question redondante : Qui est au juste à l’origine de la folle rumeur ? Le pouvoir de Faure Gnassingbé l’a-t-il entretenu sciemment ou inconsciemment ? Au-delà des indiscrétions mystico-sanitaire, il est fort possible que certains éléments au cœur du pouvoir aient tenté d’avoir recours à une politique de communication à la ‘Kpotivi Laclé-Kunalé Eklo’ pour redonner une virginité au mal-aimé Faure Gnassingbé. Ce qui explique l’invitation d’un accueil massif par les populations annoncée par Gilbert Bawara. Malgré le court délai d’annonce, le traditionnel « Import-Export » des militants et sympathisants RPT-UNIR était de la partie à l’aéroport de Lomé.

En matière de communication, le pouvoir n’a véritablement pas évolué. On en est toujours à recycler le vieux système de communication pour redorer l’image ternie du président et du pays à l’extérieur. Même si le disque est rayé, on le joue allègrement, sottement. En témoigne, l’envoi au parlement français de journalistes togolais pour parler de la situation politique du Togo. Comme si les députés français n’allaient pas savoir qu’ils étaient en mission commandée. Un journaliste, ça commente, ça analyse, ça fait des reportages, ça ne joue pas aux hauts responsables politiques pour convaincre des parlementaires étrangers !

Dans le cas présent, si nous écartons les explications de maraboutage, on est totalement dans le remake low cost du stupide accident d’avion de Sarakawa, maquillé en attentat impérialiste, qui a servi à fonder le mythe d’invincibilité d’Eyadema. Mais comme nous le disions déjà, l’opposition en lutte ne doit pas se laisser divertir par cette manipulation du pouvoir.

Préparer l’alternance

Cette fois-ci, il ne s’agirait pas de fonder le même mythe. Faure Gnassingbé « rongé par la leucémie » n’est pas invincible. Mais il prouve sa puissance en dépit de la maladie, puisque cette rumeur va être mise sur le compte de son opposition, ‘vaincue et sans idée’, qui se résout à cette vile campagne sur la mort du Président. A défaut d’avoir réussi à le combattre, on se remet à l’ordre divin ou plutôt satanique pour espérer l’extinction biologique de Faure Gnassingbé. La même chose était déjà supposée au temps d’Eyadema. Au moment où l’opposition se mobilise pour janvier-février, Faure Gnassingbé porte un coup ‘dur’ :" regardez ces gens-là, ils sont mauvais, ils veulent ma mort au lieu de me combattre légalement". Il s’agit donc moins d’une tentative désespérée pour susciter la compassion voire la commisération pour un enfant mal-aimé et malade. Remettre Faure Gnassingbé dans le cœur des Togolais, telle est donc l’opération de communication. Il était donné pour mort en Israël, terre sainte de Jésus-Christ d’où il revient avec une rédemption. Waoh, Alléluia !

Vu le nombre de gens à l’aéroport ce samedi soir, nul doute que l’opération aura réussi pour l’instant en tout cas. Dans cette foule, oui il y a les personnes convoyées par cars entiers (import-export) et payés à l’encas. Il y a aussi la foule des curieux venus voir Faure Gnassingbé en chair et en os. Et après ?

Cette opération de communication fera un flop le plus tôt possible pour la simple raison que les Togolais ne peuvent pas aimer celui qui ignore la misère du peuple. Même si la vie des Togolais s’améliorait sensiblement, Faure Gnassingbé sera toujours haï. Pour la simple raison qu’il est le fils d’Eyadema. 50 ans de pouvoir d’une seule famille, c’est trop ! La preuve, le changement de nom du RPT en UNIR n’a rien changé dans la mentalité collective du peuple. Il faut dégager, c’est tout. Et Faure Gnassingbé a plutôt intérêt à consacrer sa dernière énergie à susciter une vraie alternance, à trouver un successeur crédible et ambitieux pour le Togo, au lieu de s’adonner à ses basses intrigues. Ainsi il rentrera dans l’Histoire différemment de son père Eyadéma.

« On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps » !

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