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Comme tous les ans depuis quelque temps, les examens de fin d’année approchant, les chamans du Bénin y sont allés de leur marketing de circonstance, en ayant acheté des heures d’antenne sur les radios de proximité. Pour environ 5.000 f la consultation, le candidat, ou son lieutenant, repart avec incantations à prononcer et ingrédients à mâchouiller ce jour-là pour passer avec brio son examen. Un soir de mai 2021, alors que l’un de ces chamans exposait éloquemment sa capacité à « assurer le succès de vos enfants aux différents examens », un auditeur téléphona pour témoigner qu’il avait eu recours naguère à lui, et que son enfant avait réussi au baccalauréat avec mention très bien. Comment savoir si l’auteur de l’éloge téléphoné n’a pas été démarché et stipendié en amont de l’émission, alors même qu’il n’avait jamais eu besoin des gris-gris du chaman qui vantait son art ?
Cet art n’agrée pas tous les Béninois. Pressé par ses ouailles, en lieu et place des recettes chamaniques, le responsable des cultes organise un office pour « appeler la grâce de Dieu sur nos enfants qui vont à des examens ». Les candidats y prennent part massivement en ayant apporté le stylo devant leur servir ce jour-là. A la fin de la liturgie, ils sont invités à le soulever pour une prière et une bénédiction spéciales du célébrant.
Il y a environ 80 ans, il n’y a avait rien de tout ce qui précède pour aider les candidats au CEPE, le seul examen connu des enfants, et dont le parchemin faisait de son détenteur un sachant définitif. Ni stylo ni stylo-bille. Il n’y avait que plume et porte-plume. Et le sentiment diffus que le Ciel ne pouvait pas rester indifférent à un événement aussi considérable, aussi déterminant. Voilà pourquoi, le CEPE approchant, des enfants-de-chœur étaient souvent approchés par leurs petits camarades candidats pour glisser derrière ou sous l’autel la plume de la lutte finale. Après neuf jours d’immersion dans « le Milieu Divin », la plume retourne à son propriétaire. Et ne voilà-t-il pas qu’une subtile transfiguration l’a rendue apte à garantir à l’enfant le précieux diplôme du très important Certificat d’Etude Primaire et Elémentaire !
Selon le camp idéologique auquel on fait allégeance, on jugera, avec un sourire condescendant, le courage généreux des enfants-de-chœur rendant, pour la beauté du geste, un bien drôle de service, et l’on jugera avec dédain et mépris l’occultisme vénal du chaman. Mais dans ces deux camps, on lâchera le mot de superstition pour stigmatiser et les enfants-de-chœur profanateurs et le chaman vaticinateur. Cependant que, dans tous les camps confondus, on se gardera bien de parler trop vite de superstition pour stigmatiser prière et bénédiction spéciales du célébrant sur les plumes dardées vers le plafond.
Et pourtant, dans les trois cas, l’homme quête la victoire, alors même que dans aucun des cas, la relation de cause à effet n’est établie. Pas plus qu’elle ne l’était quand le cardinal Spellman bénissait les GI’s pour qu’ils aient la victoire sur le communisme, quand le Pape François, sur la Place Saint-Pierre, implorait le Ciel pour que l’humanité ait la victoire sur le Covid-19, quand Israël s’emportait contre Dieu : « Tu nous as rejetés et bafoués, tu ne sors plus avec nos armées, tu nous fais reculer devant l’oppresseur » (Ps 44/10-11).
C’est que l’homme porte en soi le désir inamissible de convoquer et de mettre au service du réel les puissances irréelles, dont il est convaincu de l’existence. La superstition est une nécessaire excroissance de toute religion à laquelle elle peut se substituer dans l’imaginaire du croyant. Il faudrait à ce dernier l’implacable rigueur intellectuelle de Voltaire pour parler en termes de « La superstition, cette infâme ». Il sied donc de juger aimable et recevable toute superstition qui, dans sa naïveté et son irrationalité, vise quelque aspect du beau et du bien, à travers un succès projeté et rendu possible par un travail certain et assidu.