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Le psychodrame russo-russe du 24 juin dernier autour de la mutinerie avortée de Wagner, et sa tentative de marcher sur Moscou, a laissé des traces à des milliers de kilomètres du Kremlin. Chez les alliés africains de la Russie, la présence de Wagner a tourné au casse-tête jusqu’à l’annonce, le 20 juillet, du redéploiement en Afrique des combattants engagés en Ukraine.
« Le problème du Mali n’est pas Wagner », assurait Abdoulaye Diop, ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale au sein du gouvernement de transition à Bamako, le 12 juillet dernier. Attention cher lecteur, il est une règle d’or en communication politique : quand le chef demande à ses seconds couteaux de sortir du bois pour éteindre un incendie, c’est que le problème qu’il tente d’atténuer est un gros problème.
Commençons par un rappel des faits. Dès son arrivée au pouvoir suite à son coup d’État de mai 2021, la junte militaire dirigée par le colonel Assimi Goïta avait choisi son camp : elle a fait appel au groupe paramilitaire russe Wagner, puis poussé vers la sortie l’opération française Barkhane. Tant que l’idylle entre Vladimir Poutine et Evgueni Prigojine – le patron de Wagner – était parfaite, les dirigeants africains attirés par les promesses sécuritaires russes n’avaient pas à se poser de questions.
Mais depuis, les masques sont tombés. Tout comme la cordiale entente entre Poutine et son ex-meilleur ami Prigojine, ce dernier n’ayant jamais mâché ses mots sur la stratégie russe, y compris en Afrique : « On se bat en Afrique parce qu’on nous a dit qu’on avait besoin de l’Afrique. Et, après ça, ils l’ont abandonnée. Ils [l’État-major russe] ont volé tout l’argent qui devait être utilisé pour aider les pays africains », avait dénoncé le patron de Wagner au moment de son coup de force le 24 juin. Un mois plus tard, les choses ont bien changé.
Cartes rebattues ?
Fin juin donc, les cartes ont semblé être rebattues : les colonnes de blindés de Prigojine – mécontent du sort de ses miliciens en Ukraine – fonçaient sur Moscou avant que le patron du groupe Wagner ne se ravise. Depuis, Poutine et Prigojine ont entretenu le flou sur leurs stratégies respectives. Et ces dissensions ont vite dépassé les plaines ukrainiennes. Soudain, les pays africains, friands des pseudo exploits sécuritaires de Wagner, n’ont plus su à qui ils devaient leur allégeance. Car il ne faut pas se leurrer : aux premiers jours de la crise, et ce malgré leurs démentis, le Mali de Goïta, la Centrafrique de Touadéra et même le Faso du capitaine Traoré étaient bien embêtés. Qu’allait donc devenir Wagner en Afrique désormais ? D’autant que dans les pays voisins, les agissements du groupe paramilitaire étaient scrutés de près. Au Tchad surtout, où les rumeurs allaient bon train concernant une tentative de déstabilisation du pouvoir de Mahamat Idriss Déby.
Début juillet, qui donnait les ordres ? Officiellement, la Russie avait reconnu – par la voix de son ministre des Affaires étrangères Sergeï Lavrov – la « présence des instructeurs russes » de Wagner déployés dans le Sahel. Comprenez « des bataillons de mercenaires » et pas de simples formateurs censés conseiller les forces armées régulières. Nous les avons vu à l’œuvre d’abord en Centrafrique où ils sont grassement payés par le régime du président Faustin-Archange Touadéra, en monnaie sonnante et trébuchante mais aussi en contrats d’exploitation miniers et forestiers. Ensuite au Mali où ils ont fait du zèle à plusieurs reprises contre les jihadistes, aux côtés des FAMa, allant même jusqu’à perpétrer des massacres contre la population civile. Une question se posait donc : qui tirait vraiment les ficelles de la présence russe ? Que restait-il de l’agenda de Wagner en Afrique ? Et de celui du Kremlin ?
La Russie veut rester sous une forme ou sous une autre
Il ne faut évidemment pas chercher trace d’une quelconque critique à l’égard du groupe Wagner dans la presse des pays du Sahel où les oppositions sont muselées et où les voix dissidentes sont poussées à l’exil ou emprisonnées. Début juillet, plusieurs rumeurs ont d’abord relayé de grandes manœuvres en République centrafricaine, avec le départ de plusieurs dizaines d’hommes du groupe paramilitaire russe – jusqu’à 500 selon certains médias, partis vers la Libye puis la Biélorussie. Ces hommes auraient quitté 14 des 47 camps que Wagner tient dans le pays.
Tandis que le porte-parole de la présidence de la République Albert Yaloké-Mokpem minimisait l’événement en parlant d’un « mouvement de rotation et non de départ », d’autres observateurs voyaient là un changement notoire dans la stratégie russe : Moscou avait initialement envoyé un intermédiaire au front, Moscou est désormais en train de reprendre la main. Le choix a alors été laissé aux mercenaires de Wagner, dans le cadre de la réorganisation express des forces russes par le ministère de la Défense : soit vous intégrez le contingent russe présent sur place, soit vous partez. Poutine reprenait la main. « La République Centrafricaine a signé un accord avec le gouvernement russe, a alors expliqué une source gouvernementale au site d’informations Oubangui Medias. Même si les Wagner partent, la Russie sera toujours là et occupera les mêmes dispositifs. D’ailleurs, le gouvernement russe a rassuré ses partenaires qu’il sera toujours là. » Circulez, y a rien à voir. La situation sécuritaire en Centrafrique – à quelques jours du référendum constitutionnel du 30 juillet – ne laissera pas le choix au président Touadéra : il aura besoin des Russes pour sécuriser le scrutin. Et mieux en contrôler le résultat final, car ils sont également très efficaces dans ce domaine.
À Bamako, évidemment, on a regardé de près ce qui se passait à Bangui. Le colonel Assimi Goïta, qui n’a jamais caché sa satisfaction d’avoir fait appel à Wagner fin 2021, s’était retrouvé en porte-à-faux à cause des liens – tant au niveau sécuritaire que financier – tissés entre son pouvoir et le groupe paramilitaire dont le modèle financier est de se nourrir sur la bête. De l’obtention douteuse de permis miniers au trafic de drogue vers les Émirats du Golfe en passant par la création de société locales, les hommes de Wagner se sont rendus à la fois indispensables à la survie de la junte – quoi qu’elle en dise – et bien encombrants, suite au coup de force raté de Prigojine. Goïta et sa junte allaient bien sûr choisir leur camp. Et il y avait fort à parier que le scénario centrafricain se reproduise.
Wagner a encore des cartes à jouer
Dernier acte de cette pièce de théâtre qui se joue devant nos yeux : le 20 juillet, Evgueny Prigojine – alors en Biélorussie – a annoncé que ses hommes quitteraient le front ukrainien pour se redéployer… en Afrique. Finalement, le groupe Wagner demeure un outil essentiel dans l’arsenal du Kremlin. L’avenir dira sous quelle forme son influence perdurera : Poutine ne peut ni se permettre de laisser une trop grande indépendance au groupe Wagner, ni se départir de ses cruciaux atouts liés aux montages financiers de Prigojine. Le patron de Wagner semble irremplaçable : les bénéfices réalisés par ses opérations militaires alimentent l’effort de guerre russe et permet au Kremlin d’alléger les retombées financières de « l’opération spéciale » en Ukraine. Car le nerf de la guerre, comme toujours, reste l’argent : et il faut bien reconnaître que le fonctionnement mafieux de Wagner a largement démontré son efficacité. Impossible dans ces conditions pour Vladimir Poutine de s’en séparer. Le chef du Kremlin a donc décidé de composer avec. Et de recomposer son dispositif militaire, tant en Ukraine qu’en Afrique.
Au Sahel, les grandes manœuvres ne font donc que commencer. Nos frères maliens ont même vu des panneaux d’affichages – en français – appelant au recrutement par Wagner de nouveaux éléments. Dans une interview exclusive à AfriqueMediaTV, Evgueny Prigojine a d’ailleurs rappelé ses priorités : « Bien sûr, nous allons continuer de travailler dans tous les pays d’Afrique où nous avons commencé à le faire. Il n’y aura pas de réduction de nos programmes en Afrique. » Quelle que soit sa forme ou sa hiérarchie militaire, la présence russe poursuivra donc ses objectifs initiaux : déstabiliser les régimes affaiblis, mettre sous tutelle ceux qui sont en demande de sécurité, séduire les militaires arrivés au pouvoir suite à des coups d’État, et surtout… mettre la main sur les ressources naturelles pour financer les efforts de guerre de Moscou. Les peuples d’Afrique et le développement de leur économie et de leur agriculture, eux, n’apparaissent jamais dans l’équation.
Ibrahim Touré
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